30 septembre 2009

Notre Dame des Mers Mortes


Il fut longtemps une mode, soigneusement entretenue par une pelletée de snobs précieux et souvent phtisiques,  qui consistait à ne voir de Venise que la part désolée et comme abandonnée. Cette vision maléfique d'une cité à jamais endormie, empuantie de miasmes, déliquescente et pourrie, où tous les vices pouvaient s'assouvir, est à l'origine de l'idée qu'on se fait encore parfois de Venise. Cité des amours perdues, royaume des passions interdites. Venise la morbide... 
 
Ceux qui connaissent la cité des doges, ceux qui y ont vécu, même l'hiver, même dans les années 70 ou 80, quand l'Italie était la proie de démons, noirs, rouges ou bruns, le savent bien : Venise est joie et vie ! Sa lumière à elle seule, même au plus triste des ciels de novembre, est féerie et délice pour les yeux. Les âmes tendres, celles qui ne se repaissent pas de douleur ou de viles passions, le sentent bien : Venise est un monde qui gigote et qui rit. Un bal costumé ou une romance. Pas un hymne funèbre ou un sinistre roulement de tambours...

Je relisais l'autre soir «Notre-Dame des Mers Mortes», un récit de Jacques d'Adelsward-Fersen. Publié en 1902 à Paris, c'est le premier roman du XXe siècle sur Venise. Jean Lorrain, Huysmans ne sont pas loin. On y rencontre des êtres sombres et tragiques, dans un décor de palais décrépis et de haillons. L'ouvrage est élégant, avec sa couverture dessinée par Louis Morin et le portrait du jeune auteur en frontispice. L'écrivain, rendu célèbre jusqu'à nos jours par la biographie très romancée de Roger Peyrefitte, «l'Exilé de Capri», écrivait bien. Certains de ses poèmes publiés chez Messein, l'éditeur de Verlaine, démontrent un réel talent. Une affaire de mœurs dans une période politiquement troublée l'obligea à l'exil. 
 
Si Appolinaire se moqua un jour de ce jeune homme trop esthète, ses vers eurent souvent du succès. Comme d'ailleurs ce roman - qui fut réédité quatre fois. Il est pourtant aujourd'hui terriblement démodé, parfois ampoulé et maniéré, comme on l'était à la Belle époque. Grâce à dieu, les esprits ont évolué et les goûts ont changé. Les amoureux de Venise, (je ne parle pas des hordes qui ne font que passer et ne voient ni ne sentent rien) ont compris ce qu'elle est vraiment, la ville des enfants et des chats, la ville de la lumière et des reflets, la cité de la musique et de la couleur. Non, à Venise le noir ne va pas bien. Notre Dame des mers mortes a soufflé sur les flots, et de jolies vapeurs aux reflets diaphanes projettent son image devant l'univers médusé, attirant des troupes d'esclave qui tentent à son contact de se remplir enfin d'humanité et de beauté...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Où peut-on se procurer cet ouvrage ?

Lorenzo a dit…

Hélas en bibliothèque seulement. Ou sur le catalogue d'une libraire ou dans une vente aux enchères... J'envisage depuis des années de le rééditer avec un commentaire critique.