22 février 2016

Venise : Triste constat



Cette photo de l'ami Enzo Pedrocco, prise récemment sur la Fondamenta Sant'Anna dans le sestier de Castello montre ce à quoi conduit l'ignoble laissé-aller des responsables de la Sérénissime. Peu à peu, lentement mais inexorablement,  au nom de la liberté économique, ils laissent périr Venise. "Vision emblématique des tristes et désolantes conséquences de cette monoculture touristique" commente l'auteur du cliché. Une charcuterie ferme et laisse la place à une boutique d'articles pour gogos. Ailleurs, il s'agira d'une boulangerie, d'une échoppe de cordonnier, d'un coiffeur ou d'un marchand de jouets... Peu à peu la ville se vide de sa substance pour se transformer en un simple parc d'attractions, un luna-park envahi par des touristes distraits et pressés. Quelle tristesse.
 
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6 commentaires (non archivés)

15 février 2016

Un parfum de Craven A (2)


Antoine se dirigeait vers le campo. Il y avait peu de monde encore dans les rues. Des retardataires se hâtaient de franchir le portone du Palazzo Recanati, siège du lycée artistique. Il se sentait paisible et détendu. Pas de cours pour lui, aujourd'hui, le professeur avait prévenu de son absence. Après la colazione avec ses amis, ce sera de longues heures à la bibliothèque. Betti préférait celle de Ca'Foscari, Stefano et lui, les hautes salles de la Querini Stampalia. Il se répétait ces vers de Rimbaud découverts la veille en exergue d'un roman médiocre qu'on lui avait offert :
C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie.
- Était-ce donc ceci ?
- Et le rêve fraîchit.
Je ne sais plus qui a écrit que c'est dans le sombre de la nuit qu'il est beau de croire à la lumière. Propos d'un ravi, d'un fou de dieu ou d'un pauvre illuminé qui ne voudrait pas voir la vie comme elle est, terrible et absurde ? Niaiserie ? Certainement pour bon nombre de nos contemporains dans un monde devenu difficile et où les repères s'effacent rendant nos pas hésitants. Quiconque a vécu assez longtemps à Venise a fait l'expérience de cette rédemption de l'âme. Même sujet au doute, au désarroi ou à la peine, la guérison se fait soudaine des plus douloureuses blessures qu'un cœur peut avoir à endurer. Il suffit la plupart du temps d'aller dans les rues de la Sérénissime, la nuit plus particulièrement et de marcher jusqu'à ce que la fatigue et l'instinct nous pousse à rentrer...


Je ne connais pas de chagrin qui ne s'efface ou du moins reprenne miraculeusement place parmi les simples dysfonctionnements de l'existence, après deux bonnes heures de promenade nocturne des Fondamente Nuove à la pointe de la douane - exception peut-être de l'horrible période où la municipalité avait autorisé un milliardaire iconoclaste à remplacer le lampadaire des amoureux et des pêcheurs qui siège depuis Fançois-Joseph à l'extrême pointe des Zattere, aux pieds de la Fortune dorée des magazzini qui abritent ses collections d'art contemporain, par un adolescent et une grenouille) - quand les touristes ont regagné leurs pénates et que la nuit s'étend sur la ville. Pas un cri, plus un appel, les cloches même se sont tues et l'absence de véhicules à moteur, tout concourt à faire des lieux un monde de silence habité mais vide aussi. Cet endroit unique produit une atmosphère unique, "un cas de beauté, un paysage mental" écrit Paolo Barbaro dans son Lunario veneziano. Nous sommes sur une île et sur une île, on est bien plus seul avec soi-même que sur la terre ferme. cela ouvre au poète un univers de cauchemar ou de rêve. 

Antoine lisait de la poésie la nuit dans son petit taudis de la calle del'Aseo. Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, La Tour du Pin... Mallarmé était son préféré. Quand les vers du poète faisaient remonter en lui mille rancœurs ou des désirs inattendus, il partait le long des ruelles, traversait San'Alvise et arpentait le pas vif le pavé des quais qui font face aux îles. Il avait ainsi besoin de marcher, longtemps. Le casque de son walkman emplissait ses oreilles des mêmes musiques : Après un rêve de Fauré pour les moments de grande nostalgie, le Gloria et le Magnificat de Vivaldi pour les jours de fougue et de détermination, la sonatine de l'Actus Tragicus de Bach ou, plus prosaïquement, les chansons de Simon &Garfunkel ou bien encore le "Walk in the wild side" de Lou Reed dont il comprendra le sens que bien plus tard, arrivé à l'âge adulte et bien loin de Venise...
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser:
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts:
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul
.
Il était arrivé en Italie sans vraiment savoir pourquoi. Il fuyait les derniers mois où le deuil et le chagrin s'étaient emparés de sa vie. La mort de son père, son échec à l'université, sa rupture avec celle qu'il avait tant aimé... Rien que de très banal. Pourquoi Venise ? L'appel du sang ? Trop romantique. La facilité ? Il y était venu tant de fois depuis son enfance ? Il aurait été bien en peine de trouver une réponse. Il savait seulement qu'il lui fallait être là. Pour revivre. Pour se construire. Et il avait croisé Anna. Enfin.

à suivre.

10 février 2016

Un parfum de Craven A (1)

Un matin comme les autres. le ciel était gris mais on sentait dans l'air que la journée serait ensoleillée. Antoine n'aimait pas que le ciel fut bleu quand il devait s'enfermer dans la bibliothèque. De toute manière, en ce moment, il n'aimait rien. Il croyait être triste, il n'était que maussade. Jaloux. aigri. Même sa propre image que reflétaient les vitrines ne trouvait grâce à ses yeux. Il se sentait laid, petit. Il était seul. Le vaporetto n'arrivait pas. Il allait être en retard. Assis sur la banquette en bois du pontile, il regardait ses pieds. Il les trouvait ridicules ses pieds. Quelle idée stupide d'avoir mis des chaussettes dans ses baskets. Il allait sûrement transpirer. Il faisait déjà chaud, pourtant 9 heures sonnait à peine au campanile voisin. Un mendiant passa devant lui en maugréant. Des écoliers piaillaient. Una gita scolastica comme il y en a tant à Venise. Une religieuse les rejoint avec un diable chargé de bidons d'huiles d'olive. L'idée le fit sourire : une bonne sœur toute de blanc vêtue transportant un diable sur les eaux de la lagune... Chacun allait vers son destin du jour. Sa vie à lui, que serait-elle aujourd'hui ? Dans ses écouteurs résonnait une chanson de Cat Stevens, "Morning has broken". Tout un programme. Il allait vraiment être en retard. Le vaporetto approchait enfin. Il allait retrouver Betti et Stefano, les deux seuls étudiants avec qui il se sentait bien ou pas trop mal. Ils s'étaient retrouvés après le premier cours de l'année au baretto du campo Santa Margherita. Betti était une habituée des lieux depuis le lycée et Stefano, arrivé un an plus tôt d'Ancône et qui partageait avec elle et deux autres filles le même appartement, avaient ri de retrouver leur camarade français dans la petite salle du fond où ils prirent l'habitude de se retrouver chaque jour ou presque après les cours. Thé chaud et Craven A sans filtre... Lecture aussi, car Antoine n'est jamais sorti sans un livre dans sa poche ou à la main. En ce moment, c'est Mallarmé qui l'accompagne dans son quotidien.
(à suivre)

02 février 2016

Lettre à mes lecteurs

Biens Chers Lecteurs, 

Il est difficile de trouver sur la toile des informations sympathiques et véridiques concernant notre Venise au quotidien. Envahie par les barbares depuis tant d'années, mille guides sont publiés, des centaines d'articles paraissent dans les journaux du monde entier qui présentent une Venezialtra, avec des adresses à ne pas manquer, des lieux à visiter à tout prix et aussitôt 21 millions de touristes se précipitent et endommagent le peu qui reste d'authenticité. En me promenant sur le net il y a quelques mois, et sur les recommandations d'une vieille amie vénitienne, j'avais découvert le blog de Riako, alias Chiara Regazzini, pétulante (et c'est un compliment, pas de l'ironie) jeune étudiante de la Ca'Foscari, apparemment grande amoureuse de Venise dans le même sens que nous, chers lecteurs. Son post sur les choses à voir et à faire qui ne coûtent rien (et font du bien pour paraphraser un adorable petit livre que j'ai offert naguère à l'un de mes enfants) est une petite merveille d'authenticité que Tramezzinimag ne peut que confirmer. en voici, peu ou prou, la traduction. Que l'auteur de ce blog soit remerciée pour sa plume, sa faconde et l'emprunt que j'avais fait à son site. Malheureusement la jeune fille a cru que nous avions volontairement entrepris de piller sa créativité en reproduisant - en français - l'essentiel de ses billets. Beaucoup de précipitation et d'inattention ont fait que les deux billets, postés à la suite l'un de l'autre et qui depuis nous avaient valu de nombreux commentaires sympathiques le plus souvent avec des rajouts et des notes diverses, l'ont été sans aucune mention de l'inventeur du texte original. Nos compléments aux notes de la jeune étudiante devaient être complétés par de jolies photos d'amis très chers de notre blog, Pierre et Christine. Hélas, trois fois hélas, rien de tout cela ne fut mis en œuvre et les billets parurent sans aucun mention de droit ni citation du texte original qui avait servi de charpente à notre projet. J'en suis marri - et ma petite équipe tout autant. Entre temps, et après un échange assez virulent, mais toujours courtois, les billets ont été supprimés manu militari par les sbires de Google, notre hébergeur (!), Chiara et Lorenzo sont devenus amis sur Fesse de Bouc... Ironique époque où un blog qui fêtera bientôt sa douzième année d'existence et a collationné à ce jour un peu plus de 1.745.000 visiteurs, est censuré par un Big Brother yankee dénué de toute empathie et encore plus de culture (savaient-ils seulement de quoi ces billets parlaient ?), conséquence d'une distraction jamais constatée auparavant. Mais cela est de bonne guerre. La propriété culturelle est en danger avec les médias modernes qui sont rapidement incontrôlables.< A la place de la jeune femme, j'aurai agi de même : j'aurai d'abord cherché à joindre le présumé plagiaire, pour comprendre et savoir à qui j'avais à faire. Ce qu'elle fit, mais Tramezzinimag est souvent aux abonnés absents en ce moment tant votre serviteur est occupé ailleurs. Et je la félicite de savoir aussi bien défendre ses intérêts et sa plume, et par là le principe même de la création culturelle. C'est Google après tout qui manque cruellement de nuance, mais ça on le savait... Je remercie aussi les nombreux lecteurs qui m'ont écrit pour m'assurer de leur soutien et de leur étonnement devant cette censure quand, comme le souligne Maryse "Il eut suffit d'un rectificatif et de republier les billets avec les différentes mentions légales", et cette sympathique remarque de Frédéric : "Quelle publicité vous faites à un blog inconnu (méchant) David inconnu contre un (gentil et célèbre) Goliath, apprécié de tous et notoirement connu depuis 2005, a fait parler de lui". Merci les amis, mais la loi est claire et en l'état, nous avons été un peu légers avec cette distraction. Acte manqué ? Fatalité ? Merci en tout cas pour votre soutien et vos encouragements. 

Venezianamente, 

Lorenzo

Lettre à mes lecteurs

Biens Chers Lecteurs,

Il est difficile de trouver sur la toile des informations sympathiques et véridiques concernant notre Venise au quotidien. Envahie par les barbares depuis tant d'années, mille guides sont publiés, des centaines d'articles paraissent dans les journaux du monde entier qui présentent une Venezialtra, avec des adresses à ne pas manquer, des lieux à visiter à tout prix et aussitôt 21 millions de touristes se précipitent et endommagent le peu qui reste d'authenticité.

En me promenant sur le net il y a quelques mois, et sur les recommandations d'une vieille amie vénitienne, j'avais découvert le blog de Riako, alias Chiara Regazzini, pétulante (et c'est un compliment, pas de l'ironie) jeune étudiante de la Ca'Foscari, apparemment grande amoureuse de Venise dans le même sens que nous, chers lecteurs. Son billet sur les choses à voir et à faire qui ne coûtent rien (et font du bien pour paraphraser un adorable petit livre que j'ai offert naguère à l'un de mes enfants) est une petite merveille d'authenticité que TraMeZziniMag ne peut que confirmer. en voici, peu ou prou, la traduction. Que l'auteur de ce blog soit remerciée pour sa plume, sa faconde et l'emprunt que j'avais fait à son site. Malheureusement la jeune fille a cru que nous avions volontairement entrepris de piller sa créativité en reproduisant - en français - l'essentiel de ses billets.

Beaucoup de précipitation et d'inattention ont fait que les deux billets, postés à la suite l'un de l'autre et qui depuis nous avaient valu de nombreux commentaires sympathiques le plus souvent avec des rajouts et des notes diverses, l'ont été sans aucune mention de l'inventeur du texte original. Nos compléments aux notes de la jeune étudiante devaient être complétés par de jolies photos d'amis très chers de notre blog, Pierre et Christine. Hélas, trois fois hélas, rien de tout cela ne fut mis en œuvre et les billets parurent sans aucun mention de droit ni citation du texte original qui avait servi de charpente à notre projet. J'en suis marri - et ma petite équipe tout autant.

Entre temps, et après un échange assez virulent, mais toujours courtois, les billets ont été supprimés manu militari par les sbires de Google, notre hébergeur (!), Chiara et Lorenzo sont devenus amis sur Fesse de Bouc... Ironique époque où un blog qui fêtera bientôt sa douzième année d'existence et a collationné à ce jour un peu plus de 1.745.000 visiteurs, est censuré par un Big Brother yankee dénué de toute empathie et encore plus de culture (savaient-ils seulement de quoi ces billets parlaient ?), conséquence d'une distraction jamais constatée auparavant. Mais cela est de bonne guerre. La propriété culturelle est en danger avec les médias modernes qui sont rapidement incontrôlables. A la place de la jeune femme, j'aurai agi de même : j'aurai d'abord cherché à joindre le présumé plagiaire, pour comprendre et savoir à qui j'avais à faire. Ce qu'elle fit, mais TraMeZziniMag est souvent aux abonnés absents en ce moment tant votre serviteur est occupé ailleurs. Et je la félicite de savoir aussi bien défendre ses intérêts et sa plume, et par là le principe même de la création culturelle. C'est Google après tout qui manque cruellement de nuance, mais ça on le savait...

Je remercie aussi les nombreux lecteurs qui m'ont écrit pour m'assurer de leur soutien et de leur étonnement devant cette censure quand, comme le souligne Maryse "Il eut suffit d'un rectificatif et de republier les billets avec les différentes mentions légales", et cette remarque de Frédéric : "Quelle publicité vous faites à un blog inconnu (méchant) David inconnu contre un (gentil et célèbre) Goliath, apprécié de tous et notoirement connu depuis 2005, a fait parler de lui".

Merci les amis, mais la loi est claire et en l'état, nous avons été un peu légers avec cette distraction. Acte manqué ? Fatalité ? Merci en tout cas pour votre soutien et vos encouragements.

Venezianamente,

Lorenzo