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25 avril 2020

In regalo a tutti miei amici di confinamento a Venezia ed altrove



L'aria "Ah mia cara", extrait du Floridante de G.F.Haendel interprété par le contre-ténor polonais,  Jakub Józef Orliński et la charmante Eva Zaïchik et leurs amis de l'ensemble The Consort, tous confinés, tous brillants et passionnés. Impossible d'entendre la voix de Jakub sans ressentir  une grande émotion. Savez-vous que ce jeune et brillant musicien est aussi un spécialiste de Break dance ? Outre une voix à l'incroyable pureté et profondeur, le monsieur est aussi un athlète. Il n'y a donc pas que les ricains pour cultiver le men sana in corpore sano. vénitien, il serait une des vedettes de la Canotiera Bucintoro, son allure aristocratique l'associerait aux jeunes patriciens de la Sérénissime, ces Foscari,  ou Bragadin d'autrefois qui n'avaient pas froid aux yeux et savaient, après le combat faire de la très belle musique pour leurs amis. 

Cela me fait penser à cet écrivain décadent qui disait à la fin du XIXe siècle, en contemplant le magnifique tableau de Bellini, à San Zaccaria, celui qui montre un ange jouant de la viole aux pieds de la Vierge et de l'Enfant, "Quelle belle musique, on n'en fait plus d'aussi belle de nos jours". Ce n'est pas le seul tableau à Venise où se fait une musique aussi divine, mais c'est celui-ci qui illustre le mieux ce me semble l'interprétation de Jakub Josef Orlinski.


Ceux qui connaissent ce tableau comprendront cette phrase. Il se dégage de cette peinture réalisée par un Giovanni Bellini âgé (il avait 75 ans) quelque chose de grandiose et familier à la fois, beaucoup de sérénité et de paix. L'ange musicien au visage visiblement dessiné d'après modèle, pourrait sortir du Conservatoire Benedetto Marcello et on pourrait tout à fait le croiser avec son instrument sur le campo Santo Stefano après sa leçon. Jean-Louis Vaudoyer, dans son "Italie retrouvée" publié dans les années 30, écrit à son sujet :
"De génération en génération, depuis près de cinq siècles, les paroissiens de l'église de San Zaccaria vivent sous la protection d'une Madone de Giovanni Bellini ; L'ineffable petit ange musicien qui, assis aux pieds de la Vierge, joue de la viole, est leur ami d'enfance."
Pour continuer dans la beauté et la sérénité, cet extrait du Stabat Mater de Vivaldi, "Eja Mater, fons amoris", enregistré en confinement encore. Enfin un tempo ralenti sans lourdeur. Est-ce la tonalité du piano, mais Jakub, même pieds nus sur sa moquette parvient à nous communiquer l'émotion de cette strophe : 

"Daigne, ô Mère, source d'amour,
me faire éprouver tes souffrances
pour que je pleure avec toi"



3 minutes 32 d'émotion ! Bon 25 avril à tous !

09 décembre 2018

"Vincere scis, victoria uti nescis"… Je ne suis pas Hannibal.

Une très vieille dame avec laquelle j’ai passé le plus clair de mon temps ces dernières semaines pour la mise en page et la réécriture d’un sien recueil de nouvelles et dont la jeunesse d’esprit, l’intelligence du cœur et la finesse de jugement n’en finissent jamais de me surprendre, un de ces êtres dont la proximité nous éclaire et les propos régalent, me rappelait la phrase du général carthaginois Hannibal qui vainqueur à Cannes abandonna l’idée de marcher sur Rome. C’est de Rome justement que m’est venue l’idée de ces lignes où je m’épanche un peu sur mes petites victoire et de l’usage qu’il faudra – faudrait – en faire…

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Contraint par différentes obligations qui m’ont empêché de passer ces quarante jours à Venise auxquels j’aspirais depuis l’été dernier, je devais choisir entre deux attitudes celle qui m’éviterait de « péter un câble » comme diraient mes enfants et de renoncer à elle. La première, spontanée et somme toute naturelle, née du dépit et de la colère, pouvait être les jérémiades. M’épancher auprès de mes fidèles lecteurs sur le chagrin qu’induit pour moi l’éloignement de la lagune, décrire ma lassitude devant le combat qu’il me faut mener avec moi-même autant qu’avec l’impitoyable système qui régente notre monde, dur, implacable et aux décisions sans appel, qui se fait appeler le principe de réalité, manière de dire « malheur à ceux dont le cœur ou les idées se révèlent largement au-dessus de leurs moyens » ... Pour faire court et pasticher Jean dans le Livre de l’Apocalypse (Chap. III - v.16), et reprendre ce que j’avais écrit dans un périodique étudiant, alors que j’étais encore membre de la caste des Nantis, « Ainsi, parce que donc ton compte en banque est tiède, et que tu n'es ni riche ni puissant, je te vomirai de ma bouche », baisser les bras parce que les moyens manquent à mes ambitions et que le sourire méprisant des pharisiens devient insupportable. Une possibilité mais bien méprisable. Égoïste aussi, car après tout, les lamentations ne sont rien d’autre qu’un apitoiement sur soi qui éloigne les autres et fait peur. Un enfermement qui nous victimise et s’avère souvent dangereux. Et puis, souvent aussi, un moyen bien pleutre de lutter contre nos terreurs, celle d’échouer, celle de réussir, celle de n’être pas à la hauteur, celle de ne pas être aimé ou assez aimé… 

Réagir et rebondir, in spite of (en dépit de tout), est la seconde posture. Celle que ma nature, Dieu voulant, impose toujours à mon esprit. Souvent après d’âpres combats intérieurs je dois l’avouer, mais toujours avec cette petite lumière qui brille au fond de mon cœur. C’est le choix que j’ai fait en laissant de côté mes doutes et mes hésitations. Quelques appels téléphonique, l’aide d’internet et de mes modestes réseaux, et me voilà comme en croisade. Voyage express à Rome pour prendre l’avis et la position des autorités culturelles officielles, deux belles rencontres pleines de promesse, communauté de pensée et de goûts. De quoi regonfler à la fois mon enthousiasme et la certitude que mes idées, mes projets ne sont le doux rêve sur lequel ironisent certains culs-de-plomb enfermés dans leur monde au bord de l’effondrement. Dans la joie de cette remise au point intérieure, le détour par Venise. Quelques heures. Comme un voleur. Sans prévenir personne. Le besoin de fêter avec moi-même cette victoire qui n’est peut-être qu’une bataille gagnée sans aucune garantie que la guerre soit gagnée. Mais après tout, devant l’impermanence des êtres et des choses, ce qui pourrait n’être une fois encore qu’une fantasmagorie, m’a revigoré et nourrit ma plume. A l’image de la Sérénissime elle-même, quand on la parcourt dans le silence de la nuit, sous une lune que voile la brume ou en plein été, quand il fait tellement chaud que tout semble désert et que l’air est rempli de mille parfums dorés. 

C’est ainsi que je me suis retrouvé, presque mécaniquement dans la Frecciarossa de 17h30 qui me déposa à Santa Lucia un peu plus de trois heures après. Juste assez tôt pour me régaler de cichetti et boire quelques calice de Soave dans mon osteria préférée, et entreprendre une fois encore, comme je le fais toujours depuis mes vingt ans, la nuit, avec le même accompagnement musical, cette version du Gloria et du Magnificat de Vivaldi par Riccardo Muti. La durée de l’enregistrement me permet, en marchant comme sur un nuage, d’aller d’un point à l’autre de mon parcours habituel qui varie selon les saisons. L’essentiel est de marcher seul, longtemps et tard à travers les rues, les campi et les fondamente de la cité des doges. Le meilleur remède à la mélancolie, la tristesse ou le doute. Beaucoup de mes pages ont été conçues sur ces trajets. J’ai essayé un jour de les comptabiliser, comme on le fait parois de celles et de ceux que nous avons aimé depuis la toute première fois où notre cœur a chancelé. Impossible bilan auquel j’ai vite renoncé. Il faut bien parfois se résoudre à des renoncements - je veux parler des trajets, pas de mes amours bien entendu… Être chez moi, dans ma ville, mon univers, sans chercher à voir personne, sans rentrer à la maison (je n’avais même pas pris les clés avec moi d’ailleurs), se sentir comme un passager clandestin, ou un naufragé qui retrouve la terre ferme. Visiteur, touriste de l’intérieur. Aller, sans hésiter jamais et se laisser porter par l’habitude, passer par des endroits qui ont compté, qui m’ont construit, élaboré, changé, sauvé… Des lieux où j’ai été, tour à tour ou à la fois, heureux, malheureux, joyeux, exalté, désabusé, comblé, abandonné… Toute la force et l’énergie retrouvée de l’imprévu et de l’inattendu qui portèrent ma jeunesse et m’ont permis de toujours garder à distance les chagrins et les peines… De l’importance de la légèreté pour être heureux. Du très mal vu aujourd’hui par les rancis timorés et les culs de plomb, n’est-ce pas ? 

Au petit matin, épuisé, plein de courbatures mais profondément en paix, le temps d’un macchiato à San Giovanni e Paolo, la douce volupté du liquide parfumé et bouillant, le croissant encore chaud, quelques échanges avec les serveuses, puis une toilette rapide et le retour à Rome pour ne pas rater l’avion qui devait me ramener à la réalité de mon exil provisoire. La tête pleine de nouvelles idées, l’esprit satisfait par ce qui a été posé, j’étais guéri du chagrin de n’avoir pu vivre ma douce quarantaine initialement prévue. Les effluves délicieuses de cette escapade, secrète et un peu folle, comme j’en faisais du temps de ma jeunesse, m’ont accompagné pendant quelques jours. J’avais avec moi un seul livre, L’été vénitien de mon ami Francesco Rappazzini dont il faut absolument que je parle dans les prochains jours. C’était un peu de notre passé vénitien que j’étais allé retrouver… 

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Gloria et Magnificat de Vivaldi. Teresa Berganza, Lucia Valentini Terrani,
New Philarmonic orchestra & Chorus dirigé par Riccardo Muti.
Enregistrement EMI,
1970 (remastérisé en 1999).

L’été vénitien
par Francesco Rappazzini
Éditions Bartillat,
2018.

08 juillet 2017

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 35) : "Vedro con mio diletto" interprété par Jakub Józef Orliński, Vivaldi chanté comme en rêve...


c'était ce matin dans l'atmosphère unique, à la fois détendue et très concentrée d'une émission de France Musique, en direct et en public depuis Aix en Provence, sous la férule de l'inénarrable Patrick Lodéon, le jeune contre-ténor en bermuda se nomme Jakub Józef Orliński. il est accompagné par le tout aussi jeune et brillant pianiste Alphone Cemin. Un moment de pur bonheur partagé comme entre amis. Grande émotion. Le jeune polonais, solaire et passionné est l'un des cinq Lauréats HSBC de l'Académie 2017 du Festival. 

Une découverte émouvante que cette nouvelle voix dont on m'avait parlé à Venise, mais que je n'avais jamais eu le bonheur d'entendre da vivo. Une fois encore l'Académie va au-delà de l'attente de son public et c'est une grande joie que de sentir cette complicité qui lie ces jeunes musiciens et se transmet au public du festival. que cela est bon et doux dans ce monde de barbares. 
Józef Orliński est en train de se frayer de manière fracassante une place de tout premier rang  sur la scène internationale. Avec un timbre superbe et percutant, une maîtrise stylistique irréprochable et une présence scénique à couper le souffle, ce jeune artiste humble et très simple s'excuse presque d'avoir autant de talent et de facilités. C'est un bosseur, un passionné et un pur et nous n'avons pas fini d'entendre parler de lui. 
Je n'ai pas été autant ému dans ce répertoire depuis James Bowman. est promis à un avenir glorieux. Hâte de l'entendre de nouveau. Il sera à Paris en janvier prochain avant une tournée en Espagne, en Angleterre et à New York. Ne pas le manquer !

19 décembre 2016

Mériter Venise ou l'éloge de la Lenteur


TraMeZziniMag défend depuis sa création en 2005, la même conception du voyage et par conséquent du voyage à Venise. Nous sommes de ceux qui privilégient le temps et font leurs délices de la lenteur. Nous sommes convaincus que Venise se mérite, qu'il faut beaucoup de temps pour vraiment appréhender ce qu'elle est vraiment. Mais le temps, prendre le temps, avoir le temps, tout cela est un luxe aujourd'hui. Du moins, c'est ce qu'on cherche à nous faire croire. Nous sommes tous devenus des gens pressés - les parisiens surtout... ..

Le vrai tempo de Venise

Le temps nous fait peur finalement. Le perdre, ne pas en avoir assez... Autant d'alibis pour cacher l'angoisse humaine face à la conscience de n'être jamais que de passage. Mais nous avons le choix. Laisser cette angoisse s'emparer de notre vie au quotidien et courir, courir sans cesse ou bien le prendre, ce temps, comme il vient, comme il va et l'apprivoiser. Le voyage peut devenir notre allié et nous guérir de la précipitation avec laquelle nous vivons. Séjourner à Venise au rythme qui est le seul à lui convenir, un adagietto qui peut se faire appassionato, andante , et nous laisse le cœur burlando en partant, rempli d'un allegro vivace. Le secret du bonheur : vivace mais jamais furioso...

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Ce qu'il y a de bien avec Venise, c'est que cette création unique que la civilisation occidentale a façonné en plus de mille ans, même endommagée, plus ou moins ruinée, vidée de sa substance originelle, demeure telle que les voyageurs d'autrefois pouvaient la voir. Haut-lieu de toutes les innovations, les inventions, les  créations techniques, politiques, sociales, artistiques qui se répandirent à partir d'elle, si elle reste un laboratoire encore aujourd'hui, Venise n'a jamais changé de rythme, pas plus qu'elle n'a changé de couleurs et d'aspect. Pourtant à plusieurs reprises, la catastrophe qui aurait fait d'elle une ville comme toutes les autres, a été proche : Napoléon qui voulait combler les canaux pour permettre la circulation des véhicules à roue et des chevaux, les autrichiens avec le pont de chemin de fer puis le doublement de ce pont pour la circulation automobile. 

Aujourd'hui encore le danger guette la Sérénissime, ne veut-on pas dans certaines officines creuser sous la ville des tunnels pour y faire courir un métro ? Un couturier parvenu n'a-t-il pas failli offrir au monde une tour gigantesque de plusieurs centaines de mètres au bord de la lagune ? Il y a quelques années un ministre grotesque depuis enferré dans de multiples scandales financiers, ne prônait-il pas l'organisation à Venise d'une exposition universelle ? Encore aujourd'hui n'y a-t-il pas des fous furieux qui veulent creuser encore plus profond certains chenaux pour permettre l'accès au centre historique des plus gros bateaux du monde au risque de compromettre définitivement l'écosystème lagunaire et tuer toute vie animale et végétale ?
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Venise immuable

Venise et son environnement changent peu. C'est ce qui en fait l'attrait à une époque où tout se transforme comme on cligne des yeux. Pourtant, le voyageur qui a la chance d'approcher de la cité des doges par la voie maritime ne verra jamais tout à fait la même chose. Selon l'heure, la saison, le temps qu'il fait, que l'approche se fasse à l'aube ou à la tombée du jour, vers midi en hiver ou en pleine nuit, sous un ciel brodé d'étoiles, impressions et sensations seront différentes. Une nouvelle histoire se forge à chaque fois, comme sont nouvelles les perspectives qui se découpent entre les lais des ilots qui émergent puis disparaissent, les hautes herbes, les chenaux... Tout dépend de l'état d'âme qui sera celui du voyageur quand il est prêt d'accoster les rives de Venise. Ce sera l'excitation de l'enfant qui part joyeux avec sa classe, laissant derrière lui l'école et sa routine ; ce sera l'apaisement que procure un paysage paisible quand on aura quitté échec et chagrin. L'enchantement est garanti même à l'énième voyage... On pourrait croire cet enchantement évanoui, éventé. Il n'en est rien. Jamais. L'enchantement ne disparait pas, il s'enrichit de tout ce que nous sommes au moment où il nous prend, de ce que nous vivons, pensons, sentons. On peut ressentir cela partout certes, mais à Venise cela se manifeste avec plus d'acuité.Cela marque l'âme plus intensément qu'ailleurs... ..


Parmi les statues de sel

A la joie peut succéder la douleur, surtout pour les âmes sensibles. Un peu comme au retour d'une visite à un parent âgé dont la santé décline vite et qu'on sait perdu. Les façades rongées par l'érosion, les sculptures de marbre qui s'effacent sous les attaques de la pollution... Ces dégradations, hélas, n'ont rien à faire de la lenteur et on constate que le processus fait de terribles ravages de jour en jour. Pourtant, cette douleur - remugles des vapeurs romantiques que les écrivains d'un temps ont incrusté dans l'idée qu'on se fait de Venise, a son remède apaisant. Souffrance et mort, abandons et chagrins, l'évocation des héros romantiques qui se sont frottés au Poison de Venise dans ce qu'adolescent j'appelais les années noir & blanc, n'a rien à voir avec la peine qui nous étreint quand ce qu'on aime se délite et se corrompt. Voir les monuments de Venise un jour prochain, comme autant de statues de sel s'effritant au simple regard du passant bouleversé, voir calle et campi envahis par la foule qui consomme chaque mètre carré de la ville comme une armée de cloportes affamés ; voir les hautes flammes qui surgissent des cheminées de Marghera et répandent dans l'air si clair de la lagune leurs gaz empoisonnés ; voir des navires gigantesques couvrir de leur ombre sordide les palais et les églises... N'y aurait-il pas là suffisamment de raisons pour pleurer et fuir ?
 
Pourtant, il suffit d'une promenade en barque loin des circuits touristiques, dans le silence des eaux que rien ne trouble, au milieu des oiseaux qui jouent à s'envoler à notre passage dans un florilège de cris joyeux et le bruissement coloré de leurs parures, pour n'y plus penser. Il suffit d'un coucher de soleil, d'une aube un peu floue qui révèle l'incroyable harmonie de la ville, la seule restée à "hauteur d'homme". Et la joie nous étreint. Car je défie quiconque qui se voudrait indifférent à la beauté unique de la Sérénissime, de continuer à le prétendre quand se dresse devant lui l'époustouflant spectacle des montagnes enneigées se détachant comme un décor peint sur les eaux blanches et opales de la lagune par un clair matin de décembre, ou les lumières du crépuscule au-dessus de San Giorgio et de la Dogana del Mare après une chaude journée de juillet !
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Venise demeure bien vivante

En dépit de la baisse jamais connue auparavant - même au temps des grandes épidémies - de sa population, en dépit des exactions liées à une soif de lucre à court terme, d'une administration sans imagination ni volonté, de plus en plus dépassée et souvent corrompu, Venise demeure bien vivante. Elle vit bien plus qu'elle ne survit. Par le dynamisme d'inconnus, presque anonymes, qui agissent, inventent, échafaudent des projets joyeux et porteurs d'espoir pour l'avenir. Ces irréductibles sont l'avenir de Venise. Rien à voir avec les excités nostalgiques de l'extrême, xénophobes et incultes qui répandent dans la ville et dans la région la puanteur des années noires et ne savent rien de l'esprit ni de l'histoire véritable de la Sérénissime. Mais n'est-ce pas partout la même chose depuis quelques années ? Face à eux, des groupes se sont créés qui prennent la réalité à bras le corps, inventent de nouvelles solidarités, proposent des solutions et les mettent en place. Ils se battent pour que la vie demeure à Venise et dans sa lagune. Ils ne perdent pas de temps dans les assemblées officielles, ils construisent et recueillent les trésors innombrables disséminés partout ici, sur les ilots à l'abandon, dans les ateliers, les mémoires.

Voir tout ce qui délite et disparait me ferait verser des larmes de désespoir s'il n'y avait pas ces résistants qui se battent pour faire vivre Venise. La liste est longue des initiatives qui d'année en année, font la véritable sauvegarde de Venise, moins tape-à-l’œil que celle, qui participe aussi à la volonté de sauver la cité des doges, entreprise par d'honorables organisations internationales, publiques ou privées. Restauration d'embarcations en voie de disparition, rénovation de lieux abandonnés pour loger des familles vénitiennes et d'autres issues de l'émigration que les instances officielles ne savent pas ou ne veulent pas satisfaire, mise en place de circuits touristiques par des historiens amoureux de leur ville qui montrent une Venise différente, véritable et qui vit, (voir le projet Slow Venice que nous recommandons à ceux qui viennent pour la première fois à Venise et refusent la vision low-cost proposée par les agences de voyage démunies d'imagination et d'esprit autre que de lucre). 

Alors, si vous êtes comme nous, très préoccupés, voire émus, devant l'évidence que la situation est grave pour Venise, vous serez heureux de savoir que ces projets sont à l’œuvre et que des centaines de vénitiens ardents font chaque jour ce que État et Administration sont incapables de faire. Sans grands moyens ; lentement, mais sûrement. A notre désespoir succède l'enthousiasme ! TraMeZziniMag défend l'idée depuis toujours, Venise est un laboratoire d'innovation au service de l'humain, de l'art et de la beauté. De tout ce qui compte en vérité. Mais sans la précipitation et la superficialité qui sont trop souvent le lot de notre époque.

Donner du temps au temps

La lenteur est une des caractéristiques de Venise. C'est en cela qu'elle reste à hauteur d'homme. Même digitale et gagnée aux modes et aux usages d'aujourd'hui, la vie quotidienne des vénitiens se fait toujours au rythme de la marche ou de la rame. Cela change et induit bien des choses, devoir aller à pied. "La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place" écrivait Jean-Jacques Rousseau, qui a dû souvent arpenter Venise pendant son séjour comme secrétaire d'Ambassade (*). C'est ainsi, visiteur, que tu dois découvrir ou redécouvrir Venise, avec lenteur et déférence. Ni musée, ni parc d'attractions, la Sérénissime est un monde à part. Un univers matriciel où l'imaginaire et le retour sur soi sont d'excellents remèdes à nos manquements, nos doutes, nos peurs et nos fausses obligations. C'est à Venise autant que sur la Roche de Solutré, que François Mitterrand a forgé sa philosophie, "Donner du temps au temps". Alors, si vous ne pouvez pas tout voir, si vous vous perdez et manquez l'endroit où vous désiriez vous rendre, ne maugréez pas. Peu importe. Le temps ici n'est jamais perdu. Il est passé à vous rendre à vous-même, à vous retrouver. Nulle part ailleurs on peut avec autant d'acuité et de profondeur, réfléchir à ce que nous sommes, envisager nos erreurs et nos chutes, nous rassembler avec nous-même, nous rédimer. Par la lenteur. Par le silence et la beauté qui nous y entourent. 


(*) Cité par Bruno Planty, dans son excellent ouvrage, Sur les pas de Jean-jacques Rousseau à Venise" paru au printemps 2016, aux Éditions La Tour verte dans la collection L'Autre Venise (p.104).

22 août 2015

Mais oui, Venise est verte !

On entend souvent dire que Venise manque de verdure, que c'est un milieu urbain totalement minéral et cette évocation est d'autant plus prégnante quand le voyageur vient en été, lorsque les journées sont particulièrement chaudes et humides, comme ces dernières semaines.

S'il n'y a pas, en dehors de la promenade qui mène au quartier de sant'Elena, de longues avenues bordées d'arbres, la ville est remplie d'espaces verts qu'il faut savoir découvrir mais qui existent bel et bien. A commencer par les jardins de certains palais, les campi où ont été plantés des arbres, les jardins et parcs publics (des Giardini au parc Papadopoli en passant par les charmants jardins Savorgnan derrière la gare ou celui de Sant'Alvise, les cloîtres et les potagers des couvents, comme à Sant'Elena justement, à San Francesco della Vigna, à l'Ospedale, ou du côté de la Madonna dell'Orto, sans compter les potagers et les vergers - les vignes aussi - de la Giudecca... Une vue aérienne de la cité des doges montre pléthore d'espaces verts arborés. Hélas, la plupart des jardins sont privés et peu nombreux les espaces verts ouverts au public. Quant ils le sont, on est parfois déçu de se retrouver au milieu d'une sorte de prairie mal entretenue ombragée de grands arbres mal taillés. C'est qu'il n'y a pas à Venise cette tradition du jardin comme espace social public comme dans d'autres villes italiennes. Venise possède ses canaux et ses rii. Ce sont ces couloirs d'eau qui forment la plus naturelle aération de la ville. Branchies plutôt que poumons.
 
Beaucoup de palais ont eu leur jardin habillé au goût de chaque époque. Jardins de simples, roseraies, arboretums plantés d'essence précieuses et rares, dédales romantiques remplis de fabriques et autres folies, il y en avait pour tous les goûts. Beaucoup ont disparu mais parmi ceux qui subsistent, le visiteur émerveillé découvre une toute autre image de Venise, bucolique et charmante. Fantasmés, certains de ces jardins ont abrité bien des évènements, comme le parc de l'ancienne ambassade de France où furent organisés de magnifiques spectacles de son et de lumière sous l'égide de Vivaldi (à l'occasion du mariage du dauphin fils de louis XV par exemple). D'autres élaborés de toute pièce par des aristocrates russes ou anglais, comme le jardin de Sir Anthony Eden, ancien Premier Ministre de sa Très Gracieuse Majesté, quasiment abandonné depuis le passage de son dernier occupant, le peintre Hundterwasser.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

21 avril 2014

Un moment de paradis : le Nisi Dominus de Vivaldi interprété par l'Academy of Ancient Music

On n'a pas tout retrouvé des œuvres d'Antonio Vivaldi. De nombreuses pièces, des oratorios, des opéras, des concerti sont à ce jour perdus mais parfois, souvent dans le plus grand des hasards, une pépite resurgit. Parmi les partitions les plus abouties et les plus émouvantes, il y a ce Nisi Dominus (RV608) dont le Cum Dederit est un moment de paradis, surtout dans cette sublime interprétation pourtant vieille de plus de trente ans enregistrée par l'Academy of Ancient Music dirigé par Christopher Hogkwood, avec comme soliste, l'extraordinaire haut-de-contre James Bowman. Fermez les yeux et écoutez : 

  
Quelle ampleur, quelle beauté. La voix et le style très pur et nuancé de James Bowman ajoute à la profondeur de la musique du prêtre roux. certains nous rabattent les oreilles avec la facilité de ses créations, leur mièvrerie, leur fadeur même. Ceux-là n'ont jamais été à Venise et ne comprennent pas que la musique de Vivaldi est remplie des sensations qui nous prennent quand on se promène dans la cité des doges, le rythme saccadé et très doux de la rame qui porte la barque, le souffle du vent, le chant de l'eau dans les canaux, la réverbération des bruits de la vie courante et au-dessus de tout cela, la grande ferveur mystique qui préside à toute création artistique véritablement vénitienne. Même si l'homme était dispensé de dire la messe, c'était un homme d'église, un religieux. Le Cum Dederit exprime cela et renvoie à leur aigreur ses pourfendeurs. 

Et puis quel beau texte  que cet extrait du Psaume 127  :  

Cum dederit dilectis suis somnum
Ecce haereditas Domini, filii
Merces, fructus ventris.

Il comble ses bien-aimés dans son sommeil 
Voici l'héritage du Seigneur, ce sont ses fils
Sa récompense, le fruit des entrailles.  

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Ce billet publié sur le site original avait suscité 6 commentaires non archivés par Google.

09 février 2013

Promenade dans la Venise de Canaletto au Musée Maillol


A défaut de pouvoir être à Venise, j'étais mercredi dernier à Paris, au Musée Maillol où est présentée jusqu'au 10 février une exposition de peintures du peintre vénitien. Impossible de ne pas en avoir entendu parler tellement la publicité pour l'évènement est omniprésente à Paris, sur les parois des bus, dans le métro, dans les journaux. On voit des affiches partout. C'est qu'il s'agit bien d'un évènement d'envergure, en dépit de quelques détracteurs qui n'en ont pas eu pour leur faim. Pourtant. Non seulement le musée a réuni, avec l'aide le la Sovrintendenza des Musées vénitiens, des toiles éparpillées dans le monde entier, mais offre aussi aux amateurs la possibilité de voir, et presque de toucher, le fameux carnet dans lequel Canaletto dessinait à l'aide de sa camera oscura que l'on peut admirer dans une vitrine et dont une réplique a été construite que le visiteur peut utiliser, pour mieux comprendre la méthode du peintre vénitien. 
Maillol est un musée charmant. Si le sbire qui contrôle l'accès aurait davantage sa place à la sécurité d'un supermarché de banlieue, les gardiens sont avenants et le reste du personnel toujours tout sourire. C'est sûrement difficile parfois, comme le matin où je suis allé voir l'exposition. Vingt minutes avant mon arrivée, un groupe d'une cinquantaine de vieillards cacochymes avait investi les lieux. Certainement tous sourds, vu qu'ils avaient branché les audiophones mis à leur disposition au maximum, et on se serait cru dans une monstrueuse ruche, les salles résonnaient d'un bourdonnement permanent insupportable. Les augustes visiteurs parlaient forts pour la plupart - toujours les aléas de la surdité, attendaient attroupés devant les toiles que le commentaire enregistré se termine et ainsi agglutinés, il était quasiment impossible de rien voir. Pris soudain d'une heureuse impulsion, j'ai arpenté les salles (deux au rez-de-chaussée et le reste à l'étage) à l'inverse du parcours prévu par l’audio-guidage. Le reste du troupeau qui n'avait pas d'engin collé à l'oreille suivait sagement une charmante jeune guide. Il n'y avait quasiment personne à l'étage. Autant l'agacement provoqué par le club du Troisième âge, très chic cela étant, m'avait tout d'abord incité à quitter les lieux pour me réfugier avec le catalogue dans le premier café venu, autant le calme et le silence des salles du haut me rasséréna. J'étais quasiment seul, entouré par des merveilles. Un vrai bonheur car cette exposition, je vous l'assure contient des merveilles dont on peut s'approcher jusqu'à se sentir au milieu des scènes dépeintes par l'artiste. Parmi les grands formats on peut admirer (de près) le superbe tableau qui montre la Scala dei Giganti du palazzo ducale. Délicieusement plein de vie, avec tout un tas de personnages qui tous semblent prêt à nous apostropher et à sortir de la toile. Peint dans les années 1755, ce tableau fait partie de la collection du duc de Northumberland comme d'autres tout aussi beaux. Je ne l'avais jamais vu en vrai. 
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A plusieurs reprises, à Venise, dans les musées, mais aussi dans certains palais et une mémorable fois en Angleterre, il m'a été donné de voir de près les peintures de Canaletto. Mais là, dans ces petites salles intimes, c'était une révélation et une grande joie. La salle ou trône cette vue de la cour du palais des doges, des hauts-parleurs diffusaient en sourdine de la musique de Vivaldi. Des airs connus comme certains mouvements des quatre saisons, mais aussi quelques pièces moins faciles, notamment des airs religieux chantés par une délicieuse voix blanche. Une autre salle présente le travail de graveur du maître. On y voit les dessins préparatoires joliment encadrés, puis les épreuves. Quelques eaux-fortes au format de grande carte postale font comprendre le rôle joué par le travail de Canaletto à une époque où sauf à savoir dessiner, on ne pouvait pas ramener de son séjour à Venise de photographies ni de cartes postales. Ces eaux-fortes sont incroyables de prévision, les détails sont charmants et tout parait tellement vivant. Enfin, pour parfaire la présentation du travail, plusieurs cadres présentent le même sujet, du dessin à la peinture en passant par différentes gravures du même paysage. 
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Guardi est présent ainsi que le père de Canaletto, Bernardo Canal dont on peut admirer au rez-de-chaussée une superbe toile géante représentant le Grand Canal du côté du Rialto. Comme plus tard chez le fils, la toile est remplie de personnages qui ont leur vie propre et s'animent sous nos yeux comme autant de témoins de cette époque où, décadente déjà, Venise n'en restait pas moins la capitale d'un pays prospère à la démographie galopante.

Peu à peu les nobles et sourds vieillards sont arrivés... Les plus valides arrivèrent à la suite de la guide, les autres surgirent de l'ascenseur. Soufflants et pouffants, ils se sont affalés sur les banquettes installées le long des parois. Le son des audiophones annonça leur venue dès l'escalier. Certains, plus attentifs, ont remarqué la décoration - des poteaux de bois et des planches grossièrement blanchies à l'eau pour rappeler les pali de la lagune et les débarcadères mouillés par les eaux. Les salles se sont remplies en un instant d'un vacarme de cour de récréation. J'en ai profité pour redescendre. Le rez-de-chaussée avait retrouvé le silence qui sied aux musées. Les deux choses qui m'intéressaient le plus semblaient libérées de cette horde très ressemblante à celles qui envahit chaque jour par flots interrompus (sauf à l'heure des repas !), musées et églises de la Sérénissime  : la fameuse camera oscura reconstituée trônant au milieu d'une salle et mise à disposition du public, non loin de la (présumée) véritable dans sa vitrine et LE fameux carnet. 

Un écran horizontal installé sur le même meuble que le précieux recueil de la Marciana, permet d'en feuilleter virtuellement, page après page, les 76 feuillets. C'est émouvant, charmant, sublime, passionnant, fascinant... Pardonnez cette emphase, mais autant de chefs-d’œuvres devant les yeux et soudain la contemplation des croquis qui en sont l'origine, avec les annotations de l'artiste quant aux couleurs et aux détails à ne pas oublier, revient à être projeté dans la Venise du XVIIIe siècle, parmi ses habitants. C'est comme humer le même air qu'ils respirèrent, entendre avec eux les cloches des églises qui se répondent, participer au brouhaha qui anime les places et les rues que Canaletto nous montre. En regardant l'outil que l'artiste utilisa, cette belle boîte de bois vernis, avec le couvercle en buis tourné et patiné par le temps que le maître a vissé et revissé à chacun de ses déplacements, on ne peut qu'être joyeusement ému. C'est toute la Venise authentique qui est là sur les cimaises du Musée Maillol et qu'on peut approcher de tellement près. Le rapport aux œuvres se fait intime, comme rarement dans un musée.
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Le catalogue publié par Gallimard m'a paru en revanche assez décevant. Il coûte 39 euros, de format italien et regorge d'illustrations et de détails, mais la couleur des tirages est épouvantable. Les clichés ne sont pas toujours très clairs et aucun des détails qui apparaissent avec une incroyable netteté à l’œil nu quand on se tient devant les peintures n'a été reproduit. 

Le petit ouvrage toujours chez Gallimard, publié par Annalisa Scarpa, commissaire de l'exposition, dans la collection Octavius , "Venise au temps de Canaletto", outre l'élégance de sa mise en page, est d'une meilleure qualité. Ce petit album sans prétention est largement moins cher. Il présente sous forme d'itinéraire, la plupart des points de vue, campi, palais, églises, monuments, d'une ville quasiment inchangée qui aujourd'hui encore conserve tout le charme du XVIIIe siècle qui charme le visiteur sensible. Je renvoie aussi les amateurs à l'excellent ouvrage de J.G. Links paru en 1994 chez Phaidon. Bien qu'un peu vieilli, il reste à ce jour l'un des ouvrages les mieux documentés sur le peintre.

  
Si vous le pouvez, courrez-y ! Vous ne serez pas déçus et privilégiez une visite matutinale ou réservez en donnant le nom d'un maharadjah ou d'un émir pour que l'on interdise les salles en votre présence! Toutes les informations sur l'excellentissime site, Venise1.com : ICI

06 décembre 2012

Un matin en hiver

Quel meilleur réveil qu'un aria enjoué de Vivaldi (en l'occurrence aujourd'hui, ce mouvement d'un des concerti de l'Opus 1, la première œuvre du prêtre roux), magnifiquement interprété par mon ami Enrico Gatti et l'Ensemble Aurora... Dehors le temps s'est remis au froid comme dirait ma vieille voisine. Le premier vrai brouillard de la saison. Ce n'est pas encore l'hiver, mais déjà la lumière se fait plus froide, le soleil moins chaud.

Paradoxalement, ce temps me donne une énergie que les derniers jours de pluie avaient totalement anéantie. Lever avec le jour donc ce matin, et Vivaldi en fonds sonore. Thé bouillant et galettes irlandaises. Il faudra ouvrir un nouveau pot de gelée de coings. Par la fenêtre entrouverte, une odeur de café grillé, le silence de la rue, une cloche qui sonne au loin. Des passants qui parlent, des bruits de pas. Mais où suis-je ? 
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Non, ce n'est pas Venise. Hélas. Pas encore. Je suis à Bordeaux, dans la brume. Beaucoup trop de choses à faire et pas assez de moyens pour partir et partir longtemps comme j'aurai aimé le faire. J'écris tellement mieux et plus vite quand je suis là-bas. Bordeaux seulement, plongé dans le silence un jeudi matin... Une panne bloquant le tramway qui passe à deux pas, sur les quais a eut totalement raison de la circulation automobile dans la rue. Des deux côtés la police a mis en place des barrières, barrant les rues adjacentes avec ses voitures. En dix minutes tout le trafic a été détourné et, pour mon plus grand bonheur - celui du chat aussi qui s'est assis sur le rebord d'une fenêtre en dépit de la fraîcheur matinale - il n'y a plus un seul bruit mécanique. Seuls les vélos circulent. Les chiens ravis promènent leurs maîtres au milieu de la voie. Des enfants qui vont à l'école jouent là où d'habitude des files de voitures polluent l'atmosphère et nos oreilles. L'air parait aussi pur que sur un chemin de montagne. Le brouillard donne à ces lieux si quelconques une atmosphère théâtrale. On attend que quelqu'un en coulisse frappe les trois coups magiques. Vivaldi toujours, et la bouilloire qui siffle, la bonne odeur des galettes... La vie est faite de ces petites joies tranquilles. 
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Vous l'aurez deviné, chers lecteurs, égoïstement, j'aime quand le tramway est en panne. Cela n'arrive plus très souvent et c'est hélas la plupart du temps suite à un accident, mais les difficultés qu'il y a à le remettre en route permettent ce genre d'accalmies pendant lesquelles le monde moderne hystérique et bruyant se tait et cède la place à une autre réalité. Plus humaine, plus paisible. On pourrait se croire sur les bords de la lagune, c'est vrai,. Le chat l'a pensé très fort qui attend que je l'y conduise pour y finir ses jours dans la sérénité d'un campo éloigné. Entendre le pas des gens sur les dalles du trottoir, les cloches qui se répondent, les oiseaux dans les arbres de l'avenue... Un bonheur. 
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Je n'avais rien de précis à faire ce matin. Mes pas m'ont porté vers le Jardin Public. Par le miracle de la technique, Vivaldi m'accompagnait avec sa musique. On n'y voyait pas à deux pas. Personne ou presque dans les nombreuses allées. Odeur d'humus. Il reste encore des feuilles sur les branches. La rumeur de la ville s'impose ici, bien davantage depuis que les tempêtes ont eu raison des très vieux arbres qui coupaient ces lieux du reste du monde. Un monde qui fut le mien, ardent, pressé, énervé. Un univers de vanité et de faux-semblants. Sur la terrasse du Champs-de-Mars, le café Jaegher est presque vide. Bruit des tasses qui s'entrechoquent. Quelqu'un marche derrière moi sur le gravier, dans le brouillard. Quelle jolie sensation, pareille à celle de l'enfant qui pénètre un mystérieux labyrinthe. Un goût de première fois me revient à la bouche. Toujours la musique de Vivaldi...

28 novembre 2012

Petite devinette musicale

Tramezzinimag vous invite à un petit jeu ce soir. Il s'agit de retrouver parmi les six heures de musique (mais oui, six heures ininterrompues avec I Solisti Veneti, vous avez bien lu !) un air en particulier. J'avoue que si j'ai retrouvé certaines pièces du maestro Vivaldi, d'autres m'échappent et je ne suis pas encore parvenu à toutes les reconnaître. Alors si vous voulez bien chercher avec moi : l'aria mystérieux - et magnifique - commence à 4.01.11 pour se terminer à 4.04.42. A vous :


01 juillet 2012

Premier dimanche de juillet, l'été enfin !


That sunday, that summer chante Nat King Cole. Cette belle chanson rythme ce premier et délicieux dimanche de juillet. Il fait vraiment beau, l'air est doux, parfumé encore des senteurs printanières qui ont tant tardé à se répandre, qu'une brise légère comme dans un film de Jacques Demy, répand dans la maison. Constance termine la préparation de son sublime fondant au chocolat. Tout à l'heure nous irons à la messe, comme chaque dimanche chez les dominicains, dont la magnifique liturgie retient et séduit les plus rétifs de mes enfants tellement tentés par l'attrait des fureurs du monde moderne et qui retrouvent dans ces moments tout ce pourquoi l'office dominical a été créé et qui en est peut-être le principal Mystère. Arrivant tous avec le poids de nos faiblesses, de nos doutes, notre mauvaise humeur et nos ressentiments, l'heure d'abandon au milieu des volutes d'aloès et de myrrhe, portés par le chant des moines sous la splendeur baroque de ce temple, fait fondre nos carapaces et tomber nos haillons. Je remarque à chaque fois l'atmosphère joyeuse et légère de la sortie, quand sur le parvis les fidèles se mêlent aux frères. 

C'est à chaque fois comme le deuxième allegro du concerto en La mineur de Vivaldi (RV418) dont on retrouva une copie dans l'ancien monastère de Cosmo e Damiano, à la Giudecca, ce bel édifice encore debout aujourd'hui et qui fut tour à tour un entrepôt, une usine de textiles, un hospice pour déshérités. L'église y abritait des trésors dont certains sont aujourd'hui conservés à l'Accademia. Mes lecteurs vont finir par penser que cela tourne à l'obsession pathologique, mais je ne sais aborder un sujet sans évoquer rapidement le lien qui se fait en moi avec la Sérénissime. Mais si c'est de démence dont il s'agit, je veux bien m'y vautrer avec joie et détermination Et à tout jamais ! Bon dimanche à tous. 
 

02 mai 2012

La Venise d'avant (1)


,,L'église de la Pietà que l'on peut voir aujourd'hui sur le quai des Esclavons n'est pas celle où Antonio Vivaldi dirigeait les jeunes musiciennes du couvent. Elle a été construite après sa mort. L'église qu'il connut et où eurent lieu les nombreux concerts qu'on venait écouter de toute l'Europe n'a été démolie que plus tard et remplacée par un palais aujourd'hui transformé en hôtel, l'Albergo Metropole. La gravure ci-dessus montre l'entrée de la chapelle de l'Ospedale della Pietà telle que Vivaldi et ses jeunes musiciennes l'ont connue. 

,,On peut encore voir des colonnes de l'ancien bâtiment dans le hall de l'hôtel. Est-ce l'esprit du prêtre roux qui fit décider le propriétaire de l'hôtel d'organiser chaque semaine des concerts de musique de chambre ou des récitals de chant dans un salon à côté du hall où trônent les deux colonnes vestiges de l'église reconstitue plus loin ? CertainementMais ce fut surtout à la mémoire de son fils, mort dans un accident de voitures et jeune violoniste.



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"Gelido in ogni vena", Vivaldi chanté par Cecilia Bartoli


En relisant mes notes sur l'Ospedale della Pietà, j'ai eu envie d'écouter ce magnifique disque enregistré par la grande Cecilia Bartoli, The Vivaldi Album, paru il y a un certain temps déjà (en 1999 !) chez Decca. Une merveille que tous les amateurs de musique baroque connaissent. Tout est beau dans ce disque. Avec l'enregistrement du Nisi Dominus de James Bowman, les Gloria et Magnificat dans la sublime version de Riccardo Muti avec la grande Teresa Berganza, c'est un des plus extraordinaires enregistrements consacrés à la musique du prêtre roux. Dans son Dictionnaire amoureux de Venise, Philippe Sollers décrit parfaitement la beauté émouvante de cette musique et le portrait qu'il dresse de la cantatrice est totalement justifié par ces images. Qui disait si bêtement qu'Antonio Vivaldi avait passé sa vie à écrire le même concerto ?

Il m'est impossible de parler de Vivaldi sans évoquer la mémoire d'Olga Rudge et d'Ezra Pound. Sans eux, le compositeur serait considéré à l'aulne de ce qu'en a écrit Goldoni dans ses mémoires, ("un bien médiocre compositeur", sic). Johan Sebastian Bach lui, qui avait transcrit nombre de pièces du vénitien, ne s'y était pas trompé : Vivaldi est un grand compositeur, un poète et un précurseur. Son œuvre est mystérieuse comme sa vie. Ce qui est évident, c'est le rôle de Venise, de la lagune, de cette ambiance unique, dans l'inspiration du musicien. Quand on tend l'oreille - et le cœur - à l'écoute d'une de ses pièces, c'est la lumière, les odeurs, les sons de Venise qui surgissent soudain. Et puis cette musique divine ramène toujours le soleil et une sérénité joyeuse... 

Cet aria, Gelido in ogni vena (« Chacune de mes veines se glace »), extrait de Farnace, est en fait une citation d'un texte de Metastasio écrit pour Siroe, cantate du compositeur napolitain Leonardo Vinci, représentée en 1726, que le librettiste a repris dans l'opéra de Vivaldi

4 commentaires:


Gérard a dit…

Un joli article !
Il faut toujours pour le grand Antonio à chaque fois remettre l'ouvrage sur le tapis tellement il fut vilipendé , maltraité , etc , etc , ....
Perso , " La Stravaganza " ou " La notte " , et ce , dans la nuit froide et noire de la Sérénissime .
La clarté cristalline de son violon , de sa flûte , telle qu'elle est parce qu'il l'a voulue ainsi , suspendue au milieu de l'orchestre , nous guide , on la suit dans le dédale de partout : elle nous envoûte à tout jamais , son but .
Il percevait les sons , et les sens , comme peu .
Et nous les rend , 3 siècles après , merveilleusement intacts .
Un vrai artiste authentique , en somme !
Sa plus belle qualité .
Une individualité immortelle .
Et bien sûr , par là , très très précieuse .

kate.rene a dit…

Celui qui disait bêtement que Vivaldi avait passé sa vie à écrire le même concerto était Igor Stravinsky !

Anonyme a dit…

SUBLIME ! Comme Venise.
Merci Lorenzo.
Gabriella

Lorenzo a dit...

Il y a encore des musiciens, baroqueux pour la plupart à ma grande surprise, qui font leur la perfide flèche de Stravinsky - qui n'est ni à son honneur ni au leur ce me semble - mais il faut rappeler qu'à l'époque où le musicien russe disait cela, on connaissait de Vivaldi peu de choses et toujours les mêmes qu'on ne savait jouer qu'à la manière pompeuse du XIXe avec des instruments à un diapason bien différent de celui de l'époque du prêtre roux !