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30 mars 2023

Orafi, argentieri, les maîtres vénitiens de Sant'Antonio


En passant l'autre jour devant l'église San Salvador, perdu dans mes rêveries
comme souvent, j'ai soudain vu, comme sur un film qui aurait été projeté dans l'air, une scène de l'ancienne Venise... A la place des hordes de touristes qui se bousculaient, les uns pour rejoindre San Marco qui est à deux pas, les autres pour regagner la Stazione avec leurs épouvantables valises à roulettes, se déroulait devant mes yeux une procession d'un tout autre ordre.

Il y avait des pages en vêtements chamarrés, des trompettes et des fifres, des provéditeurs et autres hauts fonctionnaires de rouge vêtus, qui précédaient le doge qu'un gonfalon doré protégeait du soleil déjà chaud de ce matin de mai... La foule applaudissait, tous ces personnages gonflés de leur importance passaient devant moi et l'image se mélangeait à celle du campo plein de touristes. J'ai entendu tellement de fois le récit de ces grandes cérémonies que la République prenait grand soin à organiser, que tout se mêlait dans ma tête pendant que je marchais pour rejoindre des amis qui m'attendaient non loin de là. Des hommes vêtus de couleur sombre portaient sur une civière dorée la statue de Saint Antoine, d'autres tenaient des coussins de velours sur lesquels on avait posé de splendides objets d'or et d'argent, calices, reliquaires, coupes et autres pièces incroyablement belles.

Tout ce petit monde se rendait dans l'église. Mais quel était donc l'objet de cette cérémonie ? Sant' Antonio Abate était le patron des orfèvres, mais leur scuola était au Rialto, là-même où la plupart avaient leur boutique et leurs ateliers. J'avais souvent montré quand je guidais les hôtes illustres du Palais Clari - la légation de France - l'immeuble qui abritait l'auberge de la confrérie avec le portone où on peut toujours voir les initiales S O en fer forgé pour Schola dei Oresi. Ils avaient leur chapelle dédiée dans l'antique église S. Giacomo di Rialto, à gauche de l'autel central, avec un magnifique statue du saint entre deux anges portant sa mitre, réalisée par Girolamo Campagna
 
Je cherchais à comprendre d'où surgissait ce qui n'était qu'une vision et que j'avais pourtant si clairement devant moi. En fait, je venais de passer devant la vitrine magnifiquement surchargée de Bastianello, sur la Merceria Due Aprile. Les somptueux bijoux qui y sont exposés, les pièces d'orfèvrerie et les icônes couvertes de plaques d'argent doré ont amené mon cerveau à rouvrir des cases fermées depuis pas mal de temps, et notamment celle qui concerne le trésor de San Salvador, visité une fois il y a longtemps, et celui de la pala d'argent doré que cache la plupart du temps la magnifique Transfiguration du Titien qui lui sert de protection.

Ce trésor est composé d'une centaine d'objets de culte et de décoration d'autel réalisés du XIVe au XIXe siècles par ces talentueux orfèvres vénitiens, les orafi comme on dit en dialecte. Des objets magnifiquement ciselés, somptueuses pièces dont la pala est l'exemple le plus abouti, après celle de San Marco (à ma connaissance, il n'y en a que deux à Venise). Créés par des artistes-artisans - c'était souvent la même chose autrefois, avant que le pratique et le profit ne dominent la création - ils sont l'expression non seulement d'un savoir-faire incroyable, mais aussi d'une profonde piété, où le respect des rites se mêlait à un grand sens du beau et de l'esthétique. Une manière de rendre grâce au Créateur en lui offrant de beaux objets destinés à son culte, maigre et humble image de la beauté de sa Création. Les temps ont bien changé, vous ne trouvez pas ? 


Mais revenons à mon rêve éveillé et aux orafi. Sur la gravure de Visentini ci-dessus, détail d'une vue du campo San Salvador aux milieu du XVIIIe siècle, on voit une échoppe d'orfèvre. Était-ce celle de la riche famille Candoni qui officia sur plusieurs générations (jusqu'en 1790 !), à l'enseigne Al San Bortolomio ou bien plutôt la bottega Alla Generosità de Francesco Dolfin ou encore celle de Lunardo Cherubini dont le magasin se nommait Alla Religione et dont l'activité survécut à la chute de la République ? Nous sommes après tout dans le prolongement du Rialto. Sur le pont et bien sûr de l'autre côté, dans la ruga qui leu était dédiée, il y avait de nombreuses boutiques d'orfèvrerie. 
 

La mariegola conservée - comme toutes les autres règles des confréries vénitiennes - recense les métiers liés aux métaux précieux que les artisans vénitiens travaillaient. Tous étaient réunis dans le même quartier comme cela était courant autrefois. Ainsi, autour des orafi et des argentieri, il y avait les tailleurs de pierres précieuses et semi-précieuses, les ciseleurs, ceux qui tournaient l'ivoire, l'ambre et l'écaille, les horlogers, etc. On venait de loin pour faire exécuter bijoux et objets. Louis XIV qui aimait les métaux précieux (sa collection de mobilier en argent massif était unique au monde) avait lancé cette mode qui se répandit dans toute l'Europe. Une célèbre boutique de la Spadaria, celle du maître Antonio Conba, portait d'ailleurs le nom Al Re di Francia.


L'air et l'atmosphère de Venise favorisent ces rêves éveillés, visions d'un monde que nous connaissons par les récits, les peintures et les gravures que nous ont laissées les anciens. J'ai toujours été convaincu - croyance qui remonte à ma petite enfance et se base sur de nombreuses expériences vécues - que dans notre sang coule aussi la mémoire de ceux qui ont vécu avant nous. Comment expliquer autrement ces moments uniques où, arrivant quelque part pour la première fois, on se sent chez soi depuis toujours et on reconnait tout, l'air et la lumière nous sont familiers... Cette procession qui défilait l'autre matin devant mes yeux, mêlant des personnages de l'antique République et les hordes de touristes, ce n'était pas seulement le produit de mon imagination, mais un souvenir venu de très loin avant vous et moi.
 
 
Librement inspiré de l'ouvrage de Piero Pazzi, Dizionario aureo, orefici, argentieri, gioiellieri, diamantai, peltrai, orologiai, tornitori d’avorio nei territori della Repubblica Veneta, Edizione Piero Pazzi, 1998.

12 février 2023

Silvana Scarpa, de Venise à Bordeaux

Octobre 1985, l'association dont j'étais le jeune fondateur, organisait la Première Semaine de Venise à Bordeaux, sous l'égide de la Ville de Bordeaux et de la Ville de Venise, de l'association France-Italie, de la Dante Alighieri et sous la présidence d'honneur du marquis de Lur-Saluces, alors propriétaire du Château Yquem. Parmi les artistes invités, plusieurs femmes dont Silvana Scarpa, dont j'avais fait la connaissance lors d'une exposition à la Galerie du campo San Fantin, en face de la Fenice, où j'avais été embauché comme assistant du maître des lieux, le fringant Giuliano Graziussi, qui m'a appris les usages (et les ficelles) de la profession.
 

Silvana Scarpa présenta un échantillon de son travail à la galerie Présidence, magnifique local aujourd'hui disparu, animé par un homme sympathique et accueillant, Serge Sarkissian
 
Vernissage de l'exposition. De gauche à droite : Augusto salvadori, Silvana Scarpa, Christian Calvy, Micheline Chaban-Delmas, un comédien, Nicole Noé et moi-même
 
Comme tous les évènements de cette Première semaine de Venise à Bordeaux (il n'y en eut pas de seconde...), les participants étaient entourés par une troupe locale de jeunes acteurs de la Commedia dell'Arte, I Tre Gobbi dirigée avec maestria le regretté Patrice Saunier, disparu prématurément en 2013 (Cf. Journal Sud-Ouest) Mais qui se souvient désormais de toute cette belle compagnie de femmes et d'hommes sensibles à l'art et à la poésie, à la beauté et à l'amitié ? C'était il y a presque quarante ans... 
 

Un montage vidéoexiste encore sur YouTube, dans lequel sont quelques images du vernissage de l'exposition, inaugurée par Micheline Chaban-Delmas, en présence de l'ambassadeur d'Italie à Paris, du consul général à Bordeaux, du maire adjoint de Venise, l'avocat Augusto Salvadori, le consul général de France à Venise, et une pléthore d'officiels.
 

19 novembre 2022

Chronique de ma Venise en novembre : La Festa della Salute

 
Pour ma tante Randi,
In Memoriam.

Chaque 21 novembre depuis le XVIIe siècle, les vénitiens rendent un hommage solennel à la Vierge Marie, adorée spécialement en ce jour pour avoir mis fin à la terrible peste qui décima la population de la Sérénissime en 1630. Émouvante et joyeuse fête qui rassemble les vénitiens qui viennent en famille ou entre amis de l'aube à tard dans la nuit.

Jeunes et vieux, croyants ou non, tous se rendent à la basilique de la Salute en empruntant le pont de bois qui enjambe le grand canal pour quelques jours. Tous vont vers la Madonna della Salute, la Mesopanditissa. Enchâssée dans le grand autel en marbre avec sa somptueuse sculpture de marbre réalisée par le sculpteur flamand Giusto le Court où la vierge apparaît tenant dans ses bras l'Enfant-roi, accompagnée d'un groupe d'anges qui chassent la peste sous le regard d'une femme en prière, allégorie de la ville de Venise invoquant l'intercession de Marie, l'icône, très aimée par les vénitiens, fait l'objet d'une grande vénération,  depuis que le doge Morosini décida de l'exposer dans le sanctuaire en 1670 dont elle est depuis le symbole.
 

Le pont de bateau, inauguré la veille par le cardinal Francesco Moraglia, patriarche de Venise et le maire Luigi Brugnaro, voit ainsi passer des dizaines de milliers de pèlerins qui portent avec eux un cierge que la plupart ramèneront chez eux pour protéger la santé de eux qu'ils aiment ou veiller à la guérison de leurs malades. L'usage est de les allumer autour du maître-autel où une messe est célébrée toutes les heures. La foule reste dense toute la journée. Les policiers, très nombreux depuis quelques années, en uniforme autour de la basilique ou en civil parmi les fidèles, veillent à maintenir la circulation. À certains moments, il y a tellement de monde, qu'ils doivent organiser un sens, brandissant des panneaux indiquant le sens autorisé ou interdit. Tout cela se fait dans la plus grande sérénité, paisiblement et joyeusement. Il s'agit vraiment d'un moment de fête, un de ces temps aimés quand on se retrouve volontairement entre parents ou amis.Les touristes qui pour la plupart ne savent pas ce qui motive ce grand mouvement de foule semblent un peu hagards. Certains s'éloignent effrayés ou, comme le disait une dame en prenant le bras de son mari : "N'y allons pas. Laissons-les !". "Mais pourquoi donc ?" Répliqua l'homme. "Par pudeur." fut sa (jolie) réponse. 

Cette solennité n'a rien d'artificiel et, tout comme le Redentore, autre grande fête traditionnelle, rien ni personne ne l'a dénaturée. Traditionnel moment de retrouvailles d'un peuple aujourd'hui réduit en nombre mais qui resté attaché à ces traditions ancestrales. Toutes les générations s'y retrouvent dans un même entrain et une piété commune, témoignage que l'âme authentique de Venise coule encore dans les veines de son peuple. Joyeux témoignage d'authenticité et de vie dans un monde qui se délite, où des forces implacables sont en mouvement qui poussent à l'uniformisation des usages et des goûts et grignotent inlassablement nos différences et nos libertés au nom du profit et de l'ambition de quelques uns.

Voir les petits vénitiens tenant fièrement ces ballons gigantesques ballons qui flottent partout dans la foule et qui se régalent avec leurs parents de pommes d'amour rutilantes, de marrons grillés, de massepain et de nougat, entendre les rires, et plus revigorant encore, entendre tout ce peuple s'exprimer en dialecte, tous milieux sociaux et âges confondus, mais quel bonheur. Quelle joie. Quelle fierté aussi. En rentrant chez moi, hier soir après la prière de clôture dite par le patriarche dans une basilique noire de monde, après être passé par la sacristie où autour du patriarche, prêtres, séminaristes et enfants de chœur quittaient leurs vêtements sacerdotaux au milieu des bénévoles qui vendaient images pieuses et chapelets, après m'être recueilli comme des centaines d'autres derrière le maître-autel, après avoir admiré les somptueuses noces de Cana du Tintoret et le groupe de saints autour de Saint Marc du Titien et ce Saint Sébastien de Basaiti qui vole haut sur l'une des parois de pierre blanche de la sacristie, deux des tableaux qui ont illuminé mes années d'étudiant à Venise, après avoir traversé le cloître du séminaire, c'est une immense paix que je ressentais. Les marchands de gourmandises et d'objets religieux rangeaient leurs marchandises, des groupes de passants se répandaient partout, tout résonnait de joie et de paix. 

Rare moment de grâce qu'on retrouve aussi à la Saint Martin quand les enfants se répandent dans les rues, le soir du Redentore quand flotte sur le Bacino di San Marco tout l'esprit festif des vénitiens... Mais aussi chaque jour après l'école à San Giacomo, à Santa Maria Formosa, ailleurs encore, et le soir pour la passeggiata à San Luca ou a pied de la statue de Goldoni et plus tard du côté de la Misericordia, la Movida estudiantine... En dépit des hordes de touristes, vivre à Venise est et demeure un bonheur. 


 
Page publiée sur le blog en novembre 2019.

16 février 2022

Petite Promenade comme en rêve... (3eme et dernière partie)

 
 
A un moment où le monde entier commence à réaliser que la pandémie annoncée qui bouscula toutes nos vies n'a pas fait les millions de morts annoncés et que partout la pression s'allège, que les langues se délient et que bon nombre d'entre nous se disent que finalement, on a un peu surjoué le danger planétaire, il est bon d'imaginer le retour à une vie normale. A Venise, cela passera comme en France ou ailleurs, par l'abandon du masque, par l'arrêt des contrôles et de la défiance et à la fin de cet ignoble passe sanitaire ou vaccinal imposé par des gouvernants largement dépassés et parfois ridiculisés par leurs phrases à l'emporte-pièce. Mais surtout, cela passera par le bonheur retrouvé de la passeggiata entre amis, de tous âges, de tous milieux, des tournées de prosecco, spritz et ombre di bianco (o rosso), en se pourléchant devant les plateaux attireants de ciccheti et des tramezzinini pris debout, sans avoir à se défier de son voisin qui éternue ou parle du nez. On pourra reprendre nos périgrinations selon l'inspiration du moment : faire les magasins, aller au théâtre, au concert, au cinéma, dans les musées, sans avoir à brandir d'ausweis. Et puis tant pis si les touristes sont revenus, tant pis si cela redevient comme avant entre les ignorants qui confondent le ponte des Pailles avec le pont de soupirs, la salute avec San Marco et s'affollent du prix d'un chocolat chaud ou d'un capuccino sur la Piazza.

Commençons donc notre nouvelle promenade par un apéritif à une terrasse. Pourquoi pas le Zanzibar, au pied du campanile de santa Maria Formosa, puisque nous sommes dans le quartier. Après une pensée pour le vainquer de la bataille de Lépante dont les appartements étaient au-dessus du café de l'Horloge, la visite du Palazzo Grimani s'imposait.

Il y a si longtemps. Les yeux remplis de toutes les merveilles que ces deux palais contiennent, après un passage par la librairie de la Querini Stampalia qui présente de bien belles choses, le café au pied de l'église est le meilleur endroit pour entamer la passeggiata. Le spritz y est amoureusement prépare et servi avec le sourire, tout le monde se connait ou presque, les enfants jouent autour sans gêner les parents et les autres. Quelques patatine, et beaucoup de choses à se raconter. les vénitiens adorent les potins et les échangent vont bon train. Un régal permanent que d'entendre mêlées les conversations autour de soi, en dialecte ou en italien mais toujours avec cet accent délicieux qui me rappelle toujours combien nous sommes différents en France où Louis XIV, qui rrroulait les rrr pourrrtant nous a privé du délice gourmand de la musique des dialectes, les « langues régionales» comme on disait à Science Po - avec un léger mépris dans la voix - quand ici, quelque soit son origine sociale, on s'exprime dans la langue qu'utilisait Goldoni et Casanova. Nulle condescendance chez les italiens.

 
Cela me remet en mémoire un épisode assez drôle vécu avec mon ami Antoine Lalanne-Desmet qui travaillait alors pour RFI et la RTS. Nous étions sur un tournage consacré à la Venise décrite depuis des années dans Tramezzinimag, celle de mes années de jeunesse, celle qu'évoque aussi un autre ami très cher, Francesco Rapazzini dans un livre paru chez Bartillat en 2018, que je recommande aux lecteurs dont il fera les délices. Ils auront certainement lu dans les chroniques de l'époque mes commentaires sur l'ouvrage de Francesco.
 
J'ai déjà raconté l'anecdote. L'enfant aujourd'hui a grandi. il ne se souviendrait certainement pas de notre échange si je ne lui en parlais pas à chaque fois que je le rencontre. Sa famille n'habite plus la corte del Milion, mais non loin des Schiavoni. L'entreprise familiale de restauration semble florissante et l'adolescent grandit comme tous les vénitiens de sa génération, skate et promenades en barque, la musique à tue-tête avec ses aînés. 
 
Mais retournons dans la fameuse corte. Nous nous promenions le nez au vent, Antoine brandissant son micro chaque fois que je trouvais des choses à dire sur les lieux que nous traversions. Parfois, il s'adressait à des passants. L'idée était de remplir sa machine de sons et de paroles afin de préparer son montage. Près du puits, un groupe d'enfants jouait, sans se péoccuper le moins du monde des passants. Appuyé sur la margelle, je les observais avec délice, pensant à ces vers de Mario Stefani qui s'adaptaient si bien au spectacle que j'avais sous les yeux : 
 
I zoga i fioi nel campo 
no, no i me disturba
go imparà ad amor sto' ciasso
sto' rumor 
fato de amor. * (Mario Stefani)

Le groupe d'enfants s'amusait à un de ces jeux que les enfants des villes ont délaissé partout ailleurs depuis longtemps, chassés par la circulation automobile, la foule toujours pressée et les mirages de la télévision et aujourd'hui des jeux vidéos. A Venise, rien n'a vraiment changé bien que la population des moins de quinze ans ait diminué ces dernières années de plus de 70%. Comme les chats, les enfants ont disparu dans beaucoup d'endroits où on les croisait par nuées, comme des volées de moineaux, au sortir des écoles, sur les campi, les ponts et dans les rues. Venise est un rêve pour les enfants. Aucun danger, même un bain forcé dans l'eau d'un canal sales et boueux mais peu profond, ne comporte pas d'autre risque qu'une crise d'urticaire. Les enfants jouaient donc comme ceux que décrit le poète. Des gamins du quartier. Parmi eux un petit bonhomme au joli visage de pierrot souriant reprenait son souffle à côté de moi en regardant les autres poursuivre leu partie endiablée. Nos regards se croisèrent. Je lui demandais
- Tu habites ici ? 
Après m'avoir observé de haut en bas, il me répondit dans un sourire :  
- Oui, Juste là » en pointant son doigt vers la maison à la façade ornée de vestiges très anciens, la maison - présumée - de Marco Polo. Sa petite voix d'enfant chantait avec l'accent vénitien. Antoine s'était approché et sentant en bon professionnel qu'il fallait enregistrer, il tendit son micro. Cela ne sembla pas impressionner le petit. 
- Cette maison-là ?».
Il haussa les épaules comme pour marquer l'évidence.
- Ben oui, c'est la que je vis avec ma famille et là-bas c'est ma grand-mère». Une vieille femme un peu ronde était assise avec d'autres personnes sur des chaises du café voisin.
- C'est la maison de Marco Polo !»
- Oui» dit-il.
-  Et tu sais qui c'était, Marco Polo ?
- Ben oui ! C'est le monsieur qui a inventé la Chine !»
Je restai bouche bée devant ce magnifique mot d'enfant. Un petit chinois parlant le vénitien qui habite à l'emplacement de la maison et des entrepôts de la famille Polo et a tout cadré dans une présentation de la réalité d'une incroyable efficacité. Cela ne s'invente pas. Antoine me jeta un coup d'oeil entendu. Nous avions envie de rire mais l'enfant n'aurait pas crompris. Nous ne pouvions pas nous moquer de lui. Après tout par le récit de ses voyages et par tout ce qui en a découlé, on peut après tout suivre l'avis péremptoirement annoncé en vénitien par un petit garçon chinois pas plus haut que trois pommes.

Mario Stefani aurait adoré cet échange. Le poète aurait su en faire quelque chose de bien joli. Nous sommes rentrés Antoine et moi, sous le charme de cette rencontre et de ce bon mot que nous nous répétions en chemin. Les enfants, et particulièrement les enfants de Venise  savent les sortilèges qui rendent tout unique sur les bords de la lagune. Hugo Pratt avait raison, il y a quelque chose de plus qu'ailleurs dans l'air de Venise...


* « Les enfants qui jouent sur le campo/ne me dérangent vraiment pas/j'ai appris à aimer ce vacarme/ce bruit/tout rempli de joie. » (traduction Tramezzinimag)

14 mars 2021

L'aventure de Cool Cousin se termine mais le carnet d'adresses de Tramezzinimag demeure !

Les brillants inventeurs du concept de Cool Cousin ont décidé de mettre un terme à l'aventure. Tous les cousins du monde ont pu faire l'expérience de contacts formidables et pour ce qui est de Venise, nous étions cinq à avoir été contactés qui avaient accepté de mettre à disposition, comme on le fait pour des parents venus nous visiter, ce que les jeunes appellent des "spots", donner à voir des lieux méconnus sans crier sur les toits les bonnes adresses et les heureuses trouvailles. La philosophie était simple, joyeuse et intelligente. Quelques milliers de bitcoins plus tard, les ingénieux fondateurs sont passés à autre chose. Ce n'est pas un véritable abandon, beaucoup d'entre nous y ont gagné des amis et avons pu bénéficier de l'exponentielle croissance du Cuz, la crypto-monnaie inventée en même temps que la startup, en 2016... 
 
Mais pour ceux d'entre nos lecteurs qui n'avaient pas suivi, revenons aux débuts. Cool Cousin est une start-up financée par capital-risque (venture backed companies) fondée pour révolutionner la façon dont les gens voyagent. Au départ, une étude sur les nouvelles manières de voyager montrant que le tourisme avait contribué pour la seule année 2016 pour 7,6 billions de dollars à l'économie mondiale, ce qui représentait 10,6% du PIB total mondial, soit un emploi sur 10 sur la planète ! La fameuse génération Y, connue pour son pouvoir d'achat accru, est une force motrice considérable de cette industrie florissante. Les membres de cette génération, aujourd'hui considérée comme la plus grande génération vivante de la planète, dépensent en moyenne 4.500 $ pour en moyenne 35 jours de voyage chaque année. 
 
 
Depuis son lancement en juin 2016, jusqu'à ces derniers mois plusieurs millions de voyageurs ont ainsi utilisé Cool Cousin qui permettait d'explorer d'une autre manière près de 70 villes tout autour de la planète. Pour ce faire, un millier de guides, tous choisis pour inspirer confiance et dénommés les Cousins ont offert leur assistance, donnant des adresses, des conseils, répondant aux questions des cousins vivant sur place. Couronné par le New York Times, le L.A Times, The Guardian et National Geographic comme une « application devenue incontournable pour les voyageurs », Cool Cousin s'est parfaitement positionnée pour devenir le lieu où les voyageurs grand public adoptent la crypto-monnaie.  
« Rechercher des informations de voyage pertinentes en ligne est devenu une tâche impossible. Le modèle commercial qui maintient Internet gratuit a noyé nos flux d'informations non pertinentes, créant une surcharge et des boucles de rétroaction auxquelles nous ne pouvons pas échapper. Les voyageurs chevronnés sont conscients des manipulations en ligne, mais ont encore du mal à éviter les faux-avis, les arnaques et les contenus biaisés stimulés par les budgets marketing des entreprises et les moteurs de recherches ultra-puissants qui modifient sans cesse leurs pages de recherche. En conséquence, une grande partie du temps de vacances d'un voyageur (et d'argent donc) est gaspillée sur des expériences médiocres qui ne correspondent pas à ses goûts, à l'ambiance dont il avait rêvé...»
Les inventeurs de CC l'ont vite compris : la meilleure source d'informations sur un lieu surtout quand il est éminemment touristique, reste un ami sur place, un parent. Un initié de confiance qui connaît vos goûts et peut vous diriger vers des endroits qui vous conviennent. Cool Cousin a voulu être ce qui se rapproche le plus d'avoir un ami de confiance dans toutes les villes du monde.
« Fondé comme un antidote à la frustration croissante des services de voyage en ligne, CC relie directement les voyageurs à des habitants partageant les mêmes idées - alias Cousins - pour un échange ouvert et impartial de connaissances et de services locaux. À l'aide de l'application, les voyageurs peuvent rechercher dans une liste de cousins dans leur destination, explorer leur guide personnel de la ville et obtenir des conseils et des services personnalisés. Les voyageurs utilisant Cool Cousin se connectent en moyenne à 4 cousins et se renseignent sur l'hébergement, le calendrier de leur visite, les problèmes de trajet, les événements actuels et d'autres intérêts logistiques et personnels - exactement ce pour quoi les gens se tournent vers les agents de voyages.» 
Et cela a fonctionné. Comme mes acolytes, je recevais pas mal de messages dont le contenu était parfois surprenant, comme cette jeune femme qui voulait offrir à ses deux mamans un séjour inoubliable à Venise et me demanda de leur trouver un hôtel avec spa dont la chambre ouvrirait directement dans l'eau et leur permettrait de sortir en jetski... Toutes les demandes n'étaient pas aussi caricaturales, loin s'en faut. Et combien de messages de remerciements après, confirmant le plus souvent mes commentaires sur les lieux que je recommandais. Certains sont même revenus et nous nous sommes rencontrés autour d'un café ou d'un prosecco.
 
Je voyais aussi dans ce rôle qu'il m'avait été demandé d'endosser le moyen de diffuser un message sur la fragilité de Venise, la nécessité de se comporter respectueusement avec la Sérénissime, rappelant chaque fois que cela était possible, de respecter quelques règles, de faire autant que possible comme les vénitiens, de chercher à s'adapter... Bref, tous les conseils que les guides devraient - la plupart le font - asséner aux touristes dont ils ont la charge. J'espère que j'aurai ainsi pendant ces années Cool Cousin, modestement contribué à la Défense de Venise ! L'avenir dira si cette idée de la fragilité de Venise, ville vivante et unique, modèle universel dans bien des domaines, se sera répandue suffisamment pour que chaque visiteur aie à cœur, réellement, de la respecter et de la faire respecter...

Avec « La Venise de Lorenzo », qui a reçu depuis les débuts de l'application plusieurs centaines de milliers de visiteurs, les city-guides
Cool Cousin, de Taipei, Melbourne, Londres, Tokyo, Montréal, Vancouver, Dublin, Sao Paulo, etc., ne seront donc bientôt plus visibles en ligne (le 31 mars sera le dernier jour !). 
 
Il faudra désormais passer par Google Maps, en cliquant sur le lien ICI. C'est moins esthétique et largement plus du tout convivial mais «pratique et fonctionnel», à l'image de notre époque pressée et efficace... Tramezzinimag continue de vous recommander ces adresses, beaucoup d'entre vous les connaissent et les apprécient aussi. Nous essaierons autant que faire se peut de tenir cette carte à jour et de l'améliorer. cela rejoint un projet qui nous a longtemps tenu à coeur avec Antoine Lalanne-Desmet d'une carte interactive de la Sérénissime, sonore autant que visuelle, regroupant les lieux préférés de Tramezzinimag, mais aussi des œuvres d'art méconnues ou célèbres, des textes d'auteurs italiens ou français, de la musique, des vidéos... Un gros boulot, mais quand on aime Venise et qu'on veut la montrer dans sa vraie réalité, on ne compte pas n'est-ce pas ?


12 janvier 2021

Intérieurs vénitiens

© Tramezzinimag / Lorenzo Cittone 2008
Du temps de Picasa, application géniale que Google a supprimé un jour sans qu'on en sache la raison, Tramezzinimag était souvent illustré par des montages de ce genre. celui-ci évoque les maisons où j'ai vécu et où je suis passé tourt au long de ma vie vénitienne. Peut-être une idée à reprendre pour nous faufiler ensemble chez les vénitiens et s'inviter à y prendre un thé ou un verre de vin, dans la douce quiétude d'une vieille maison pleine d'histoire et de souvenirs...
 

07 juin 2020

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38) : "Venise nous parle", par Lara Lucilli, vénitienne, guide

Lara Lucilli est vénitienne. elle est guide depuis 2017. C'est son métier mais surtout sa passion. Elle a eu l'idée pendant le confinement de faire parler la Sérénissime. Elle lui prête sa voix. C'est émouvant, profond. C'est aussi une jolie preuve d'amour de la part de l'auteur. 

Merci Lara pour ce joli moment. Sur sa page FB, la jeune femme s'explique brièvement, et remercie tous ceux qui lui ont permis d'obtenir cet entretien exclusif avec la Sérénissime :
"Venise se raconte, pendant et juste après le confinement... d'une idée née dans mes journées solitaires de quarantaine... Je remercie Andrea et Igor Pizzato, Roberto Dotto de Venice Water Limousine Service, Valeria Medici, Al Timon, l'osteria Al Cicheto, Matto le fabricant de forcole et... Venise, bien sûr."
Nous reparlerons de Lara et de ses collègues toutes et tous passionnés par leur ville et qui savent transmettre leur amour et sont les meilleurs ambassadeurs de la ville certes mais aussi de ses habitants. Qui est mieux placé qu'un guide pour expliquer aux touristes comment se comporter dans ces lieux uniques, et leur rappeler que Venise est un trésor à ciel ouvert mais pas un tombeau, ni un parc d'attraction, mais un lieu où on vit, où on travaille et pas seulement au service des touristes. Je suis convaincu que tout toujours se résout par la pédagogie et la sincérité.



© Lara Lucilli - Vidéo publiée sur FaceBook / 04/06/2020, 13h40.


06 avril 2019

Ce qu'était Tramezzinimag en 2009 : pages retrouvées


Un lecteur très fidèle vient d'avoir la gentillesse de m'adresser un lien qu'il avait conservé et qui présente le Tramezzinimag des origines. Il est consultable en cliquant ICI. Certains articles ont été repris sur le nouveau blog mais d'autres manquaient à l'appel.  Grande fierté devant le travail accompli, le nombre d'abonnés et le chiffre des visiteurs quotidiens qui firent de Tramezzinimag le plus célèbre blog consacré à Venise. c'était aussi le plus ancien (né en 2005). 

Il permit de belles rencontres, facilita des voyages, des reportages et des documentaires, fut souvent utilisé par les enseignants et me valut de nombreuses interventions dans des émissions de radio. Une belle aventure, un peu ralentie par la disparition dans les limbes du site, assassiné par un robot Google sans qu'à ce jour on en connaisse la raison. crime gratuit ou prémédité ? Le commissaire Brunetti s'est vu retirer l'enquête. Hmmm ! cela est louche. 

Trêve de plaisanterie, ce clin d’œil est pour moi l'occasion de vous remercier une fois encore, mes chers lecteurs, pour votre fidélité, votre soutien, vos commentaires et vos conseils. Vous m'avez permis de poursuivre le chemin avec détermination et dans la joie. Sans vous, rien de ce qui a été accompli n'aurait pu voir le jour. Dieu voulant, souhaitons que Tramezzinimag continue de satisfaire ses lecteurs !


27 janvier 2019

"Making a real difference" avec Cool Cousin, l'autre manière de découvrir la Venise de ceux qui y vivent

Lancée il y a un peu plus d'un an, l'application Cool Cousin, inventée par de jeunes et brillants cerveaux fait florès. De plus en plus de cousins la rejoignent présentant ainsi à travers leur profil la ville où ils vivent. A Venise, nous sommes sept, avec des profils ( et des âges) différents. Au 10 décembre dernier, soit 195 jours après avoir été choisi pour y participer, 2596 personnes avaient utilisé ma carte, mes 54 spots avaient déjà été "likés" 3119 fois et une bonne vingtaine de personnes se sont mises en contact avec moi pour des compléments d'informations, des demandes très diverses et des conseils. Une belle dynamique qui s'ouvre à de nombreuses nouvelles villes chaque jour. Montrer la Venise que j'aime, sans rien déflorer de ce qui fait la Sérénissime pleine de vie, accompagner son évolution et les changements qui s'opèrent spontanément le plus souvent à l'initiative des vénitiens eux-mêmes, donner à voir une ville qui palpite et vibre autrement qu'au rythme imposé du flot touristique. Une grande joie et beaucoup d'espoir pour demain.

16 octobre 2018

La Friche Belle de Mai à Venise : « Architecture invisible »




Et si nous parlions de la XVIe Biennale d'Architecture de Venise qui fermera ses portes le 25 novembre prochain ? A tout seigneur tout honneur, commençons par le pavillon français. 

Le collectif d’architectes Encore Heureux a investi le Pavillon français, réunissant autour de lui dix Lieux Infinis : dix lieux pionniers éparpillés dans l’Hexagone "qui explorent et expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde et construire des communs" : l’Atelier Médicis, le 6B, le 104, l’Hôtel Pasteur, La Grande Halle, le Tri Postal, la Convention, les Grands Voisins, la Ferme du Bonheur


Et aussi, la Friche de la Belle de Mai... A ce rêve culturel et architectural marseillais dont on parle beaucoup, chantier du possible, était consacrée la conférence qui ouvrit la programmation du Pavillon Français. "Architecture invisible", une conversation autour de la Friche Belle de Mai avec les architectes Jean Nouvel, Patrick Bouchain et Matthieu Poitevin, animée par Jean Philippe Hugron, rédacteur en chef du Courrier de l’Architecture, et introduite par Agnès Vince, chargée de l’architecture au Ministère de la Culture.


"Des lieux ouverts, possibles, non-finis, qui instaurent des espaces de liberté où se cherchent des alternatives. Des lieux difficiles à définir car leur caractère principal est l’ouverture sur l’imprévu pour construire sans fin le possible à venir. Confrontés aux défis immenses de notre époque où les transitions écologiques peinent face à la domination de l’économie marchande, aux replis identitaires et à l’autoritarisme, il est urgent d’espérer. De s’inspirer d’expériences parfois éphémères mais concrètes et solidaires.
 
Nous présentons ici un choix subjectif de dix lieux issus de rencontres. Ce ne sont pas des modèles mais des signaux faibles qui ouvrent des perspectives protéiformes et subversives. Ils existent par leur volonté d’expérimenter, presque toujours à partir d’un bâtiment hors d’usage, d’un site délaissé. L’architecture s’y exprime dans la rencontre entre des qualités spatiales préexistantes et un processus organique de transformation qui n’a de sens que s’il répond aux besoins de tous et aux désirs de ceux qui s’y engagent avec courage et détermination. 

Dans cet accompagnement spatial et temporel, l’architecte généraliste se révèle un guide nécessaire, aux frontières de la mission qui lui est traditionnellement attribuée: il ne se limite pas là à construire des bâtiments mais cherche également à faire des lieux.
Des infinis de possibles, ici et maintenant." (texte de présentation des architectes)
"Architecture invisible" est un contenu de Radio Infinita, Radio Incompleta, la radio que Grenouille a activée à Venise, à la Caserma Pepe du Lido. Pour l’écouter, c’est ICI



16 juillet 2018

Le Belem, une légende vivante (1)

‘‘Le brigantino, c’était la première chose qu’on voyait en arrivant sur l’île de San Giorgio, et la dernière que nous laissions derrière nous en partant. Il constituait pour nous un totem ; un objet que nous investissions d’une valeur symbolique quasiment religieuse ; c’était notre grand-frère, que nous admirions et dont nous étions fiers. Il n’est pas un port d’Italie qui n’ait vu un marinaretto, ni même un chantier naval ; il n’est pas une mer qui n’ait vu naviguer un marinaretto.’’

C'est la voix troublée par l'émotion que Lauro Nicodemo, ex-marinaretto de l’Istituto Scilla, parle du Giorgio Cini, l'ancien navire école de l'établissement dans lequel il a grandi. Il arpente les coursives, s'arrête longuement pour contempler les mâts du brigantin qui revenait pour la première fois depuis longtemps à son ancien port d'attache, au printemps 2014. 

C'était il y a quatre ans. La Sérénissime recevait en grande pompe le Belem, ex-Giorgio Cini, ex-Fantôme II, qui n'a jamais cessé de faire vibrer le cœur des vénitiens de tous âges, comme le symbole moderne du passé millénaire de la République marine de San Marco, après le Bucentaure dont on ne garde qu'une idée, un vague souvenir personnifié dans les vestiges (qui ont pu échapper à l'iconoclaste général corse qui s'acharna à la détruire, davantage pour en récupérer l'or dont il était paré que pour détruire un outil d'une puissance anéantie). 

Le Belem lui existe toujours et son entrée dans les eaux de la lagune fut accompagnée par une multitude de cris de joie et de bienvenue. Les anciens marins qui apprirent avec lui la navigation étaient là, le petit-fils de Vittorio Cini fondateur de l'Institut, les corps constitués, le Patriarche et tout Venise était rassemblé, beaucoup sur l'eau dans le magnifique cortège marin que la ville avait organisé, les autres massés sur les berges, de San Elena à San Marco. Un grand moment qu'il est impossible d'oublier vraiment.
Quatre ans plus tard, retrouvant le dossier de presse et les clichés pris à l'époque, j'ai retrouvé la même émotion. Elle demeure en moi parce qu'elle fait écho à un vieux rêve d'enfant, certainement né de ceux de mon père qui, toute sa vie voulut acquérir un bateau et parcourir les mers avec nous, ce qu'il ne fit jamais pour de multiples raisons, à commencer par l'opposition radicale de notre mère qui avait une peur panique de la mer. Elle avait pourtant vécu chacun des étés de son enfance et de sa jeunesse sur le Bassin d'Arcachon et à Saint Jean de Luz... 

Mais revenons au splendide navire-école du Comte Cini. Il était récemment à Bordeaux et mes lecteurs les plus fidèles savent mon attachement à tout ce qui de près ou de loin tisse des liens entre ces deux villes, mes deux mondes qui se partagent mes jours.

Le Belem est né français et son nom de baptême lié à sa première vocation de navire de transport de cacao, il le porte de nouveau depuis la fin des années 80. Fierté de la marine française, il est le dernier des grands voiliers-marchands du pays. Mais, il reste aussi la fierté de bon nombre de vénitiens et en particulier de tous ceux qui apprirent à naviguer à son bord. Ceux aussi qui dans les dernières années y habitèrent car avant d'être vendu et rénové, il a servi de dortoir et de réfectoire aux cadets vénitiens.
 A Suivre...

24 mai 2018

Lectures, considérations diverses et cousinage...

Lire le dernier Joël Dicker à l'ombre d'une glycine centenaire avec comme fonds sonore le pépiement des oiseaux, un ciel bleu sans nuage. Une douce paix comme je les aime. Bien sûr, il est encore très tôt. les touristes ne sont pas encore levés ; certains entament leur petit-déjeuner, les pendulaires s'excitent à l'approche du pont. Celui de leur liberté et notre aliénation. Bientôt l'été, la plage, le silence de la mer à l'aube ou au crépuscule quand tous s'en sont allés.. Mille rêveries qui me prennent soudain à l'ombre de la vieille glycine...

Joël Dicker, jeune auteur talentueux qui a l'âge de ma fille aînée, m'agace un peu. Non pas parce qu'il semble éructer avec tellement de facilité plusieurs centaines de pages sans jamais lasser le lecteur, non pas non plus parce qu'il a réellement du talent. Un vrai talent, fait d'une maîtrise de la langue, d'une imagination polymorphe, d'un enthousiasme et d'une énergie incommensurables. On ne peut que s'en réjouir pour lui et pour ses lecteurs. Non, il m'agace parce qu'il me met face à mes lâchetés, mes abandons, mes faiblesses. Comme Léo, le voisin du narrateur du roman commencé ce matin, Le Livre des Baltimore, un vieil homme qui enrage de voir le jeune écrivain qu'il apprécie et admire, passer ses journées à faire du sport ou à rêvasser et qui pourtant n'arrête pas d'engranger les succès littéraires, quand lui reste incapable d'avancer dans son roman, toujours bloqué devant son cahier n°1 qu'il ne parvient pas à remplir. 


Ce fils de libraire et de professeur de français écrit bien, il a beaucoup lu aussi et avance sur son chemin avec beaucoup d'assurance. Cela interpelle l'écrivain procrastinateur, qui fait le sourd aux appels réitérés de ses personnages. Ils ne cessent de frapper à sa porte mais lui sait bien que s'il répond, s'il les laisse rentrer, tout son univers sera envahi, bousculé, piétiné. il devra les loger, les nourrir, les aider, les écouter. car ils se feront entendre et, pareils à nos enfants adolescents qui se rebiffent et doivent le faire, ils nous cracheront mille vérités à la figure et ne nous laisseront plus jamais en paix. Sauf à mettre le point final à leur histoire dont nous ne savons encore rien, ou pas grand chose...

Bref, hauts les cœurs, il faut se remettre au travail. Écrire à Venise, sur Venise finalement est une douce chose. Mais pas une mince affaire. Tout le monde nous attend au tournant. S'il s'agit de fiction, nos personnages ;  si c'est d'histoire que nous voulons parler, les redites et les conclusions hâtives, les interprétations hâtives menacent et l'erreur comme l'approximation ne pardonnent pas. Il suffit de se promener au fil des blogs et des sites pour retrouver mille contre-vérités, des idées et des faits inventés, détournés, tout un ramassis d'à-peu-près qu'il ne faudrait pas renforcer en les citant ou en les décrivant à notre tour. Non, Venise c'est un sujet difficile. Allez, remettons-nous au travail.


En attendant de vous offrir du nouveau, chers lecteurs, TraMeZziniMag , vous propose pour vous occuper, outre de lire l'excellent roman de Joêl Dicker, d'aller jeter un coup d’œil sur un site dans lequel nous nous sommes investis au propre comme au figuré. En dépit de quelques erreurs et approximations, Cool Cousin est une communauté virtuelle dont le principe nous a tout de suite séduit. L'objectif est de mettre en contact des voyageurs potentiels avec des cousins à travers le monde qui proposent leur vision de la ville où ils vivent. 

Totalement dans la logique qui est la nôtre, ce Spirito del Viaggiatore qui sera bientôt le titre d'une collection d'ouvrages consacrés au voyage comme mode et conception de la vie et de la obligatoire à ces gogos du XXIe siècle pour qui seul le paraître compte ainsi que l'avoir et vendent leur âme à la mode et à l'argent. L'esprit Cool Cousin , c'est privilégier l'être, voir et entendre l'autre et penser le voyage comme une formation, une découverte autant des autres justement avec leurs différences, et de soi :  https://www.coolcousin.com/cities/venice/

16 octobre 2017

Quand Goethe revint à Venise (2)

" En outre je dois avouer en toute confidence 
que mon amour pour l'Italie 
a subi par ce voyage un coup mortel. "

Printemps 1790. Quatre ans après son premier séjour à Venise, Goethe va revenir chez les castors. Presque contre son gré. Les temps ont changé. l'esprit du poète aussi. Revenu par obligation, sa vision n'est plus la même et ce qu'il en dira complètement opposé à l'image qu'il en donna après son premier voyage. Qu'est ce qui a ainsi pu transformer le thuriféraire abasourdi, Émerveillé en 1786 par tout ce qu'il découvrait de la ville des castors, pourquoi est-il devenu à ce point critique, distant et presque méprisant ?

Le Voyage en Italie qui fut largement remanié - et qui ne parut qu'en 1816 - ne donne aucun élément qui pourrait expliquer ce revirement. S'il s'agit bien pourtant d'un journal, il ne reprend pas tout ce que contenaient les carnets du poète qu'il tenait presque au jour le jour. La célébrité de Goethe l'obligeait à continuer de façonner son image de grand écrivain ou plus simplement de répondre aux attentes de son public. Nos auteurs contemporains n'ont rien inventé.
Certes la situation politique a changé. L'Europe est en effervescence, un monde nouveau tente de s'imposer, pas encore dans la rage, les cris et les larmes ; la vie même de Goethe n'est plus la même. Mandé sans pouvoir refuser à la rencontre de la Princesse Amélie duchesse douairière de Saxe Weimar, la mère de Charles-Auguste (grand ami de Goethe), qui revenait de Rome. il ne pensait qu'à son idylle avec Christiane Vulpius, qu'il épousera quelques années plus tard et à l'enfant qui venait de naître quelques mois auparavant. Comme la duchesse tardait - elle n'arrivera finalement que début mai, le poète qui s'ennuyait, reportait de jour en jour sa mauvaise humeur sur tout ce qu'il voyait. Il occupa ses loisir à écrire au jour le jour et sans ordre précis des petites pièces qui formeront les Épigrammes vénitiennes . Il est possible qu'un peu de mauvaise humeur se soit mêlée aux ennuis de l'attente : on s'expliquerait ainsi le ton acerbe de certaines épigrammes, traits satiriques et presque méchants dirigés contre toutes les classes de la société, en particulier le clergé et la noblesse, le peuple n'étant pas non plus épargné. Il s'y moque du caractère italien, de l'art d'exploiter l'étranger ou de la malpropreté des rues. Tout ce qui l'émerveillait en 1786 était en 1790 revu avec un œil critique et négatif.


On est donc loin du premier séjour longuement préparé. Goethe appréhendait alors la Sérénissime avec la joie d'un enfant, rempli des souvenirs construits par son imagination. Il marchait sur les pas de son père et se réjouissait de tout ce qu'il voyait comme un enfant sait le faire. Tout ce qu'il nota alors était imbibé de cet esprit d'enfance qui traduit tout en joies et en bonheurs. Quatre ans plus tard, l'esprit de Goethe n'est plus à la jubilation. Il aimerait mieux être chez lui et il est père à son tour. L'état d'esprit qui est le sien lors de ce second séjour, forcé et qui se prolonge bien plus qu'il ne l'avait souhaité, n'a plus rien à voir et sa rage se traduira dans ses écrits puisqu'il reverra sa copie écrite en 1786 en supprimant de ses notes mille détails heureux pour les remplacer par des détails et des faits à charge contre les vénitiens.

Lors de ce premier voyage, Goethe logeait à l'hôtel "à la Reine d'Angleterre, non loin de la place Saint-Marc" (1). Là, il choisit une locanda, une maison d'hôtes ou pension, l'équivalent des Bed & Breakfast d'aujourd'hui. Appartenant certainement à une famille patricienne qui trouvait ainsi une source intéressante de revenus, elle était gérée par un certain Marco dal Ré selon les registres de l'administration. La Locanda della Tromba  certes située sur le canalazzo n'avait cependant rien à voir avec les établissements fréquentés à cette époque-là par les grands voyageurs fortunés ou qui avaient un rang à tenir. Les plus célèbres ont souvent été cités : le Scudo di Francia, le Gran Bretagna, le Leon Bianco. On peut penser que contraint de par ses fonctions à la cour et par égard pour son ami Charles-Auguste, il devait assumer la plupart des frais de son séjour et cherchait ainsi à réduire ses dépenses.

Mais il ne faut pas croire que les pensions vénitiennes étaient sans confort. Il existait bien dans des quartiers reculés, des établissements moins recommandables mais, comme dans tous les autres domaines, l'administration de la République veillait et la règlementation était sévère. Du moins dans les textes. Il était très facile d'ouvrir une auberge ou une pension. Après avoir rempli un formulaire pour déposer le nom de l'établissement et payé les droits d'enregistrement, il suffisait d'attendre l'autorisation du Maggior Consiglio. Les clients devaient obligatoirement être enregistrés à leur arrivée, et on devait leur remettre un justificatif de résidence ("foglietto di residenza") qu'ils devaient toujours avoir sur eux en cas de contrôle de la police, faute de quoi ils pouvaient non seulement être interpelés mais aussi refoulés aux frontières de l’État. Depuis le XIVe siècle, Venise, véritable centre névralgique de l'Europe, s'était organisée pour accueillir  le plus agréablement possible des visiteurs du monde entier. En 1355, l'organisation des aubergistes, qu'on appelait cameranti, fut créée sur le même modèle que les autres scuole professionnelles sans être pour autant une scuola à part entière (la corporation n'eut jamais de symbole ou d'enseigne spécifique). Ses membres se réunissaient tous les lundis dans l'église San Matteo du Rialto, sur le campo dei Sansoni, disparue dans la tourmente de l'occupation napoléonienne en 1805 puis démolie par les autrichiens en 1815).  On disait à l'époque que les aubergistes et autres tenanciers de gîtes meublés fournissaient de très bons espions au service de l'inquisition d'état. A ma connaissance, cette confrérie n'avait pas d'enseigne particulière.

La Locanda della Tromba avec sa plaque commémorative
Goethe et son valet de pied sont donc installés à la locanda della Tromba. D'après les lettres et les notes qui sont parvenues jusqu'à nous, la chambre du poète donne sur le grand canal. Une exposition récente à l'Institut allemand, montrait la vue qu'il devait avoir depuis ses fenêtres. Son lieu de résidence à Venise était à l'origine l'objet principal de ces lignes mais de digressions en digressions, le lecteur se sera peut-être senti un tantinet égaré. N'est-ce pas normal à Venise après tout, merveilleux dédale dans lequel on se perd délicieusement. (2) 

(à suivre)

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1  -  Goethe, Voyage en Italie, Edition Slatkine, 1990, p.63
2 - Au passage laissez-moi rappeler avec cruauté que ceux qui dans le labyrinthe des venelles tortueuses et des campi déserts ressentent angoisse et terreur ne doivent pas s'entêter et feraient mieux de quitter la Sérénissime au plus vite, Venise n'est pas faite pour eux - j'espère au passage que la municipalité me sera gré des efforts fournis par TraMeZziniMag pour contribuer à la réduction du trop-plein de touristes au quotidien...