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24 février 2024

L'hiver qui s'éloigne nous envoie son arrière-garde

Il n'est pas encore parti et n'a pas dit son dernier mot. Le bonhomme, rusé, envoie ses giboulées. Elles nous prennent par surprise. Ne sont-elles pas après tout placées sous l'égide du dieu de la guerre puisqu'on les sait naître en mars. Qui dit encore qu'il n'y a plus de saisons et que tout est chamboulé ? Apparemment le changement climatique, s'il s'avère être tout sauf une invention d'hallucinés adeptes du complot, n'a pas encore eu raison des adages paysans, des proverbes populaire de l'almanach Vermot

by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016

Car avec quelques heures d'avance sur la tradition climatique, les giboulées de mars nous tombent joyeusement dessus, aidées en cela par une mercenaire au joli nom de princesse. La tempête Pia qui provoque depuis quelques jours de fortes pluies et des vents violents dans le Nord de l'Europe et couvre désormais une bonne partie de l'Europe, routes sont bloquéeset zones côtières inondées, fleuves qui débordent faisant quelques victimes au passage et de nombreux dégâts. Pia décoiffe et fait s'envoler les parapluies, aboyer les chiens et frissonner les chats réfugiés bien au chaud quand ils le peuvent.Petit détail amusant : J'étais il y a un peu plus d'une heure, à Bordeaux, assis à une terrasse sous ciel d'un bleu très pur et un soleil primavérile - pour emprunter l'adjectif italien à Paul-Jean Toulet qui l'avait certainement lu dans un poème d'Adelsward-Fersen. Le café était digne des cafés italiens. Il me fallait rentrer à contre-coeur pour poursuivre ce travail de forçat auquel je m'astreins depuis des mois : reconstituer un à un la totalité des billets publiés dans Tramezzinimag depuis mai 2005, avec les illustrations, les vidéos, les sons et les nombreux commentaires d'origine. 

La tentation était forte de délaisser mon devoir pour m'adonner à ce doux farniente, ma vraie nature en réalité, penchant honteux dans ce monde commandé par l'appât du gain et des apparences. Dehors, l'habituelle manifestation dominicale. Aujourd'hui, les ukrainiens. Quelques cris, des oriflammes bleus et jaunes. Les mêmes couleurs que celles qui décoraient quelques heures auparavant, le temps du café post-méridien et... la pluie, d'abord fine et discrète, le ciel d'un gris tellement sale, comme dans la chanson de Jacques Brel, un gris qui fait se perdre et se pendre un canal et fait l'humilité, et l'averse qui décuple sa force poussée par le vent d'est de la chanson. Encore un coup des méchants russes à moins que ce ne soit la faute des enfants de chœur ukrainiens. Ceci posé, je ne prêtais pas beaucoup d'attention à ce changement de décor, chronique attendue de ces semaines intermédiaires quand débute le Carême. j'avais à classer des photographies retrouvées dont j'avais fait mon deuil. Envoyées par une grande amie, soutien inconditionnel et lectrice de la première heure de Tramezzinimag, elles ont souvent illustré mes billets. Son œil acéré et son amour pour la Sérénissime produisent des clichés qui le plus souvent illustrent les articles du blog comme un complément naturel, évident des textes. 

Le fichier qui s'ouvrit pendant que je me préparais une tasse de thé, contenait des clichés de Venise... sous la pluie ! Quand on dit qu'il n'y a pas de hasard !  Quatre d'entre eux ont été pris depuis les fenêtres du salon de l'appartement de la Calle dei Avvocati, qui donnent sur le campo sant'Angelo. Pendant plusieurs années, je m'y suis rendu, j'y ai reçu mes enfants, mes amis, il y eut des dîners entre amis, une exposition des grandes peintures d'une amie suédoise. Situé à l'étage noble, il était assez haut pour permettre une vision globale du campo mais le bâtiment très ancien faisait cet étage  - celui du dessous, à l'entresol était occupé une partie de l'année par une artiste parisienne, et celui au-dessus de celui de Catherine, abrita pendant quelques mois une autre amie, vasco-parisienne, historienne de l'art venue inventorier l'ensemble de l’œuvre de Clementina et Lucio Andrich, couple d'artistes au talent éclectique, conservée dans leur villa de Torcello, sur les marais de la Rose. 

Comme Catherine, la couleur rose saumon de la façade du palais de l'autre côté de la calle, me fascinait. Lorsque j'occupais l'appartement, je déplaçais canapé, fauteuil et bureau du salon pour pouvoir avoir à la fois la perspective du campo avec le campanile penché de Santo Stefano et cette façade muette dont l'enduit montrait des nuances changeantes selon les heures, était éclairé par une ogive gothique en pierre d'Istrie murée depuis longtemps. Quand il pleuvait - comme sur la photo ci-dessous - la visions était magique. L'immeuble rénové et les appartements refaits, je suis persuadé que l'actuelle occupante des lieux aime à contempler cette vue.

by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016

Une situation assez proche de la rue donc pour assister à son spectacle sans cesse renouvelé, chaque jour et chaque moment de la journée en faisant un palcoscenico que n'aurait pas renié Mario Praz, Luchino Visconti ou son émule Franco Zefirelli. Vous entretenant de la pluie et des giboulées, ces quelques images instantanés capturés par Catherine Hédouin pendant l'été 2016, ne font-elles pas spectacle vivant, ballet de figurants hallucinés dont on ne sait que trop bien les préoccupations, celles-là même que Michel Butor a si joliment rapporté dans le somptueux San Marco dont il a été plusieurs fois questions dans ces pages. 

En légende, ne pourrait-on pas - toujours sur un ton humoristique gentiment ironique - que même s'il pleuvait des hallebardes de bois et de fer, les touristes continueraient à arpenter les rues de la ville. Seuls les vénitiens savent aller par les ruelles étroites et les ponts glissants avec leurs parapluies, voir le désarroi des touristes est touchant. Un dépliant récent est à leur disposition pour savoir comment circuler avec un parapluie sans éborgner personne ni bloquer le flux des passants. Être bon vénitien n'est pas toujours inné, il y a des conventions et des usages à apprendre. Qu'on se le dise. 

by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016

Sur la première photographie, le lecteur avisé aura remarqué le cocasse d'une photographe immortalisant celle qui depuis la fenêtre du salon la prend eu même moment en photo... Je ne sais pas vous, mais on est en présence d'un de ces clins d’œil délicieux, qu'on peut classer dans la fameuse catégorie, tendre ou drôle, de l'arroseur arrosé ! 

Un grand merci à l'amie Catherine, pour ses photos, sa patience et son humour, à qui je dédie cette petite vidéo du vidéaste Phil Brammer que m'a adressé en 2016 un ami britannique

 

«Passeggiando sotto la pioggia, Venezia »(Promenade sous la pluie, Venise) a été filmé par Phil Brammer, le 23 avril 2016 dans les sestieri de San Marco et de Cannaregio.

09 août 2023

Une librairie de plus à Venise : bienvenue à la Feltrinelli !

L'ouverture d'une nouvelle librairie est toujours une fête partout dans le monde. D'autant que de partout fusent les statistiques sur la baisse de fréquentation des bibliothèques, le pourcentage qui grimpe d'année en année du nombre de jeunes qui n'ont jamais lu un seul livre et les rumeurs sur l'inéluctable disparition de l'objet qui a changé le monde avec l'invention de l'imprimerie. 

C'est donc fête à Venise où l'éditeur Feltrinelli vient d'ouvrir ce mardi la quinzième librairie de la Sérénissime (en comptant les marchands de livre d'occasion et de livres anciens, et les librairies du centro storico, de Mestre et du Lido). Il y a quelques jours encore, j'étais passé distrait sur le rio terà Secondo, à San Polo, juste à l'angle de la calle qui mène au vaporetto San Stae. Les anciens se souviendront de cette osteria, baptisée «al Lento» officiellement Osteria da Renato, où le patron était connu pour sa philosophie de la lenteur.  


En attendant l'inauguration officielle qui aura lieu en septembre, nombreux sont les les vénitiens qui depuis mardi viennent se rendre compte par eux-mêmes et visitent librairie dans ses locaux flambants neuf. Feltrinelli, la maison d'édition, qui compte des dizaines et des dizaines de points de vente dans toute l'Italie, a officiellement ouvert avant-hier sa librairie à Venise, une première. À ce jour, les grandes chaînes ont toujours eu du mal à s'ouvrir dans la ville faute d'espace adéquat. en apprenant la nouvelle, j'ai aussitôt repensé à ce délicieux film de Nora Aphron, «You've got mail»,  avec Meg Ryan et Tom Hanks, reprise du fameux «Shop around the corner» de Lubitsch. Dans le film l'enseigne Fox, spécialiste des hypermarchés du livre vient s'installer en face d'une petite librairie de livres d'enfants. Le contraste est grand entre le géant et la petite boutique.
 

Le choix de Feltrinelli est totalement adapté à la Sérénissime. Située entre le campo San Polo et San Giacomo dall'Orio, elle ne s'étend que sur une petite centaine de mètres carrés seulement et s'apparente plutôt aux petites librairies généralistes indépendantes que nous aimons tous. Avant elle, l'osteria dont les vénitiens se souviennent, puis une galerie d'art. Murs en briques apparentes, sol décoré d'arabesques qui attirent le regard, étagères sobres et sans fond pour laisser voir les murs, poutres apparentes. Une lampe Fortuny et un plafonnier de chez Venini pour marquer la vénétianité du lieu. Sur les rayons, il y en a pour tous les goûts, avec même un rayon.
 
 
Si l'ouverture d'une librairie est toujours une bonne nouvelle, surtout en période de baisse drastique du nombre de lecteurs, le fait qu'elle ouvre à Venise, ville aux prises avec le dépeuplement, l'est encore plus. Le choix du quartier aussi, dans une partie de la ville qui est rarement visitée par les touristes de masse ce qui laisse à penser que la clientèle visée sera avant tout locale. Bonne pioche. 
 
De fait comme le souligne les journaux locaux, durant ces deux premiers jours, la librairie a été surtout visitée par des habitants, ravis d'accueillir Feltrinelli tout près de chez eux, dans un «va-et-vient incessant alors qu'à l'intérieur de la boutique les derniers travaux d'installation électrique et d'éclairage se terminent» écrit ce matin dans La Nuova, le journaliste Eugenio pendolini. Parmi eux mardi soir, on remarquait l'écrivain Tiziano Scarpa venu visiter la boutique en personne.
 
Aucune déclaration officielle, aucun dossier de presse de la part de maison d'édition sur la nouvelle librairie de Venise. Seules les deux  libraires, professionnelles expérimentées et passionnées venues de Vérone et Trévise pour parler de cette avenyure lagunaire.

Inévitablement, l'ouverture suscite un grand intérêt. « Bienvenue dans une librairie de haut niveau comme la Feltrinelli à Venise », déclare Cristina Giussani, propriétaire de la librairie Mare di Carta et représentante du syndicat des libraires, « Ce sera une librairie dédiée aux Vénitiens car elle est loin des circuits habituels du tourisme urbain».

Un échelon de plus aussi dans l'offre de livres dans la ville, où l'on compte aujourd'hui une douzaine de librairies (dont une seule, Mare di Carta, qui vend des manuels scolaires), en plus des quatre librairies d'occasion et de livres anciens. Bonne route à Feltrinelli Venezia. Allez-y faire un tour, amis de Tramezzinimag. Peut-être bientôt pourrez-vous y trouver les publications de Deltæ, la maison d'édition de Tramezzinimag et des auteurs qui nous honorent de leur amitié ?
 
 Libreria Feltrinelli 
Rio Terà Secondo 2245A
San Polo  (près du Campo S.Agostin)
Tel. :  +39 02 9194 7777




20 juillet 2023

Dix ans après...

Le 20 juillet 2013, la journée avait été belle en dépit d'un temps orageux. C'est du moins ce que j'avais noté dans mon carnet. J'avais fait une longue promenade en barque avec deux amis, je rédigeais mes billets du jour. L'un sur une maison que j'aime beaucoup, située sur le campiello en face de la véritable entrée dessinée par Carlo Scarpa, de ma chère Querini Stampalia. 

L'autre article était consacré aux jardins plus ou moins secrets de Venise (Lien en cliquant ICI)Il faisait chaud cet été-là et je l'évoquais dans le billet sur les jardins. Aujourd'hui aussi il fait chaud, très chaud même. J'expliquais il y a dix ans combien je trouvais difficile de passer des 18 degrés d'une pâtisserie dotée de l'air conditionné aux 32 degrés à l'extérieur. Tout à l'heure, au soleil certes, je notais 40° ! 

A l'évidence, la température monte d'année en année. L'autre jour à la plage, en sortant de l'eau, le sable était brûlant et l'air tellement humide que je mis longtemps à me sécher. et dire qu'il y a encore des obscurantistes pour prétendre que le changement climatique est une invention d'hurluberlus. Un peu comme les gens pensaient que la terre est plate. Il parait qu'il y en a encore qui le pensent. Certainement les mêmes qui nient la montée des températures et le dérèglement du climat. Bon weekend à vous, chers lecteurs !



17 juin 2023

Un jour dans la vie d'un chat à Venise

© Walter Fano - 2011 - Droits Réservés
 

En Hommage à Mitsou, roi des chats de la dynastie Orange qui choisit notre famille et honora notre domus de sa présence pendant 15 ans, de la Normandie à Bordeaux, en passant par Milan, Venise, Le Moulleau et La Réole. Grand amateur de voyages en train, du du violoncelle et du saxophone, ami de Woody Allen (qui n'aime pas les chats mais qui fut séduit par lui et envisagea presque de le faire tourner dans un de ses films), ce petit film rigolo conçu en famille par la famille de Walter Fano que Tramezzinimag remercie au nom de ses lecteurs.

 
Un sympathique petit film, quelques minutes drôles, pour rappeler que Venise est bien plus la ville des chats que des chiens, que la gent féline, heureuse et tranquille,  qui peuplait les campi et les calle a été décimée non pas par le Covid mais par les confinements, après avoir été cantonnée des années durant le plus loin possible du regard des gens (la colonie la plus nombreuse demeure celle de l'Ospedale, à San Giovanni e Paolo) depuis qu'un édile hostile aux félins et grand amateur de chien imposa au conseil municipal la déportation sur une île abandonnée des chats errants sans domicile fixe. Une hécatombe. 
 
Peu à peu ils sont revenus, mais leur nombre, comme celui de la population vénitienne, reste faible. Exit la colonie du pont de l'Accademia, celle du Rialto (dieu qu'ils étaient gras ceux qui vivaient non loin de la Pescheria !), du ghetto, ceux des giardini reale qui la nuit disputait les bancs de pierre, aux garçons de la nuit qui se retrouvaient la nuit le long de la promenade entre le Harry's et la Piazza, et ceux du parvis de la gare, de la Salute... Le monde change, pour les chats aussi.
 
Titre original : Un giorno da gatto sull'isola della Giudecca
(Une vie de chat à Venise)
Sur une idée de Walter fano
Musique de Diego Fano

12 février 2023

Le Retour...

Mille fois pardon aux lecteurs qui m'écrivent, étonnés de mon silence, inquiets ou mécontents de ne plus retrouver régulièrement leur Tramezzinimag. Certes, entre 2005 qui vit naître le premier blog et 2023, les goûts et les habitudes ont changé. De revue en ligne on m'a conseillé de passer aux « brèves », faciles à lire, ce format ultra-court que les nouvelles générations préfèrent... Un jeune lycéen m'avouait candidement l'autre jour « J'aime beaucoup lire mais les gros livres, les longs textes, ça me fait peur » et la jeune fille qui était avec lui ajoutait « Moi, je cherche tout de suite le résumé ou un abrégé ». Ils ne lisent jamais les journaux, encore moins les revues, mais sont au courant de tout instantanément et en permanence, saturés d'images qui frappent...

Trop sollicités par les réseaux sociaux, sur le fond, nous avons pris l'habitude du drame et attendons chaque jour une nouvelle dose de tragédie universelle. Les images flash et choc ont pris le dessus. L'information immédiate plutôt que la réflexion et le commentaire... Il faut faire avec. L'humain est toujours pressé désormais. On peut dire, avec ce que nous avons fait de la planète, que cette fuite en avant, semble donner raison à ces pessimistes qui voient dans tout cela une sorte de suicide collectif ; la fin autoprogrammée de notre espèce, qui peu à peu laisserait se déliter tout ce qui fait l'humain en poursuivant d'épouvantables chimères baptisées Progrès, Croissance, dans un monde sous l'influence négative de l'information en continu, qui distille jour après jour, la peur et l'angoisse et réduit l'espoir et le bonheur à des chimères...

À Tramezzinimag, point de pessimisme ou de pensées mortifères. A l'image de Venise, - qui comme toujours, montre l'exemple - notre chère Sérénissime, qu'on dit depuis longtemps agonisante, remugle d'une civilisation moribonde, voire déjà en décomposition, regardez-la, en dépit de tout et contre attente, elle paraît plus que jamais ardente, vibrante, rayonnante, attirant toujours autant - hélas - des millions de visiteurs ébahis, mais que sa population native ou d'adoption refuse de laisser considérer comme un musée ou un parc d'attractions. Ne contredit-elle pas, un fois encore, toutes ces idées bien noires évoquées plus haut 

Pour conclure, Tramezzinimag reste ce qu'il a toujours souhaité être, une revue qui met en avant Venise et sa civilisation, la beauté de son quotidien, les merveilles de son histoire, souvent source de leçons pour le monde moderne. 

26 septembre 2022

Venise comme délicieux antidote et autres considérations (2/2)

Chronique du 2 juillet 2022, entre San Marco et Milano centrale...

 
Fin de ces quelques jours de juin à Venise. Bientôt les retrouvailles avec le quotidien bordelais et sa grisaille, les tensions et les incompréhensions au quotidien dans un univers dont je me sens désormais si peu solidaire... Après de belles rencontres et de jolis moments de partage, il faut rentrer et reprendre tout où je l'avais laissé. Hélas. Mais quelque chose a changé. Deux ans de crise sanitaire et la preuve irréfutable au quotidien de l'incohérence, de la bêtise généralisée et médiatisée, de l'incompétence aussi de la plupart de ceux qui dirigent le monde - ou s'imaginent le faire - ce monde qu'ils contribuent, par leur médiocrité et leur inculture, à enfoncer dans le chaos ; et puis la certitude renforcée, évidente qu'en dépit des changements qu'on sent aussi en Italie libérale et matérialiste, le peuple de la péninsule demeure un peuple heureux, joyeux, accueillant et bienveillant. C'est une évidence : on vit et continuera de vivre mieux en Italie.
 
Mes lectures, autant que mes rencontres avec des êtres charmants, brillants, aux idées claires et aux opinions salutaires, ont fait de ces quelques jours volés à la routine et aux préoccupations de mon quotidien en France, un moment précieux, revigorant, roboratif... le dernier article de Thierry Guinhut , sur son blog consacré aux « peintures et paysages sublimes» cite l'excellent texte sorti en 2009 de Alain Mérot (« Du paysage en peinture dans l'Occident moderne ») déjà cité dans Tramezzinimag mais avalé lors de la suppression du premier blog par Google. et l'intellectuel de pointe...
 
 
Évoquer Nico Naldini avant que j'oublie. Un lecteur discret et fidèle de Tramezzinimag, jeune universitaire rencontré par hasard (?) l'autre jour à la Querini évoquait dans notre conversation la personnalité du parent de P.P.Pasolini, disparu il y a deux ans à l'âge de 91 ans. Notre échange qui devenait trop animé pour ne pas perturber les autres lecteurs de la salle où nous étions installés, nous le poursuivîmes dans le jardin, ou plutôt sur la partie de la jardin dévolue à la brasserie du musée. Le café y est bon marché, les pâtisseries agréables. Nous avons abordé le sujet difficile de l'engagement des artistes dans la société et plus particulièrement des poètes. En référence à Pasolini bien entendu et Naldini en suivant dont on connait moins le travail. Notamment au service de la langue frioulane.
 
Que le sage ou le poète intervienne dans les affaires politiques est une vieille histoire qui débute bien avant l’invention du mot « intellectuel ». Terme qui n'est pas très vieux finalement puisqu'il apparait seulement à la fin du XIXe siècle, dans le triste contexte de l’Affaire Dreyfus... Cette fin de siècle a décidément embourbé la pensée avec des mots nouveaux, des pensers (joli mot au masculin apparu la première fois chez des écrivains esthètes de la toute fin du siècle) tout sauf progressistes et innovants pour l'Humain... Tout ce qui complique la réflexion et finit par nécessiter une préparation, une formation spécifique, éloigne de la spontanéité d'où jaillissent parfois des idées neuves, vraiment inédites et vraies...
 
L'intellectuel donc, en Italie comme en France, ne cessera pas d’être l’enjeu de luttes de classement : organique ou universel, chien de garde ou garant de l'idéal démocratique, animal médiatique ou expert. L’élaboration par Michel Foucault de la notion d’intellectuel spécifique entre bien sûr dans ce jeu. On peut s'en servir de référent, de base pour la réflexion. Mais, à condition de ne pas la prendre trop au sérieux. Ne convient-il pas de la reprendre à une époque de forte démonétisation/désacralisation de la posture ? En la liant à une politique de la subjectivité, Foucault nous invitait à ne pas renoncer à l’exercice d’une véritable fonction critique pour toujours exprimer un rapport au vrai, medium nécessaire à la vie démocratique...
 
 
En ces temps d'élection où l'avenir d'un pays dépend de l'humeur et de l'énergie de son peuple, l'intellectuel de pointe comme disent les italiens est plus que jamais une figure nécessaire face aux politiciens à l'esprit alourdi par leur ego et les poches remplies par des influenceurs en tout genres, faussement préoccupés de leurs administrés qui les dérangent, démagogues patentés bien éloignés du quotidien des « gens ». Phénomène universel et de toujours ? Il suffit de relire Les Annales de Tacite pour se rendre compte que déjà dans sa décadence, le monde romain avait ses profiteurs habiles démagogues, menteurs patentés, profiteurs et complètement détachés du Bien Public... à Athènes avant eux... Ils n'avaient pas les écoles de commerce où se précipitent aujourd'hui toute la jeunesse aveuglée par la rutilance magnifiée du veau d'or... 

 
Combien la jeunesse est belle. J'observais de la fenêtre de la cuisine deux garçons qui jouaient au ballon dans le cortile de la maison d'en face. Un panier de basket et les deux à tour de rôle tentaient de marquer. Mais assez vite, le plus jeune des deux se mit à dribbler avec un ballon de foot avec acharnement. Sa musculature déjà puissante - il devait avoir quinze ou seize ans - le vieillissait. Je pensais à la beauté de la jeunesse, à son côté éphémère dont on n'est conscient que bien longtemps après l'avoir perdue. Ce jeune vénitien, brun, bronzé, à l'aise dans son corps, je ne l'avais jamais vu. Dans le quartier, même en n'y vivant plus à l'année je connais la plupart des gens. J'ai vu souvent une dame d'un certain âge franchir le portail,  une jeune maman aussi avec un bébé et une fillette d'une dizaine d'années. Mais jamais je n'avais croisé ces deux adolescents. J'ai su pourquoi ils m'étaient inconnus quand je les croisais quelques heures plus tard dans la ruelle... 
 
 
Je revenais de la plage. Le joueur de foot sortait de la cour avec sa mère. Je les saluais en italien. ils me répondirent courtoisement, en anglais... Le garçon n'est donc pas vénitien, c'est un américain et ses parents ont loué un appartement dans l'immeuble. Celui avec la terrasse et l'énorme climatiseur qui surplombe d'une des fenêtres. Les vénitiens sont souvent musclés et à l'aise dans leurs mouvements parce que la marche et le canotage, mais aussi la proximité de la mer les aident à dessiner leur corps très tôt. Cette vigueur, ce bronzage, cette aisance dans les mouvements, tout cela pouvait laisser croire que je voyais s'égayer sous mes yeux un vrai fanciullo d'ici, V.O.C. (Vénitien d'Origine Contrôlée) pas un de ces jeunes américains protéinés au beurre de cacahuètes et entraînés. Quant au bronzage, le nombre de jours d'ensoleillement sous le soleil vénitien, fabrique à tous un hâle parfait dès la fin du mois de mai.Pas besoin de vivre en Floride ou à San Francisco.
 

A Venise, mais ailleurs aussi, presque tout est sali par l'appât du gain. « Ce n'est pas nouveau » me rappelle une amie, fille et petite-fille de marchands. « Venise était au Moyen-Âge déjà était ce que New York est depuis le début du XXe siècle, la capitale du business où on venait du monde entier pour tenter de s'enrichir». Là encore, la Sérénissime a été un modèle, un exemple. Je suis tenté de souligner que cela ne devrait pas être un modèle et un exemple à suivre.  Et si sa chute, l'effondrement de sa civilisation offrait l'avant-goût de ce qui attend le système économique mondial actuel, basé sur le profit, la croissance et l'exploitation ? 
 
Schei, schei, e schei ancora... Hors le pognon point de salut ! Shakespeare a vu juste et universel quand il dépeint le juif Shylock qui ose dénoncer l'hypocrite morale chrétienne de l'époque. L'argent faisait son bonheur mais l'humain demeurait. C'est là qu'il nous faut prendre peur pour l'avenir de notre civilisation : toutes ces guerres qu'on ne pensait imaginer revenir à quelques encâblures de nos terrasses de café, depuis ce XXe siècle meurtrier, la montée des terrorismes, d’État ou religieux, la fuite en avant du toujours plus et l'ensevelissement des repères éternels, spirituels, philosophiques... L'arrivée au pouvoir de milliardaires avides, l'enrichissement de plus en plus colossale de certains et l'appauvrissement de tous les autres. L'Inquisition pourchassait le diable sans jamais l'avoir. Aujourd'hui, le diable est toujours et encore à l’œuvre.
 

Dans le train qui me ramène en France, un jeune moine copte égyptien, sourit en regardant deux petites filles qui jouent, adorablement spontanées mais en même temps attentives aux autres et ne dérangeant personne. Certains travaillent, d'autres dorment ou lisent. Et dans mes oreilles le Beata viscera de Perotin dit Perotinus Magnus, « discantor  optimus » dans un enregistrement découvert récemment à Venise par l'ensemble Tonus Peregrinus... Un heureux mélange de genres pour effacer la tristesse d'avoir dû quitter une fois encore Venise mais aussi le regret, une fois encore, de laisser derrière moi cette atmosphère joyeuse et apaisée qu'on ressent partout en Italie - même au milieu de la foule de l'immense gare de Milano Centrale. Est-ce seulement une histoire de climat comme le suggérait Montesquieu ? 
 
Ici aussi pourtant, la montée - qui semble irrémédiable - des partis fascistes comme un peu partout en Europe, la peur des gens, la haine de l'autre, la méfiance vis à vis de l'étranger qui reprend de la vigueur et se généralise... Mais il y a autre chose, un truc dans l'ADN de l'Italie qui dans toutes les aventures de ce peuple transforme à la fin les tragédies en comédie, les larmes en rire !
 
Bien plus que tout cela, bien au-delà d'une histoire de journées ensoleillées, de rires et de danse, il y a un peuple qui a du coeur, de la sagesse et beaucoup d'esprit. Ce sont les paroles de cette merveilleuse chanson de Gianmaria Testa écoutée en boucle ces derniers jours, délicieux remède sans effets secondaires et qui guérit de toutes les nostalgies et apaise toutes les tensions...
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
Salirà il sole del mezzogiorno
Passerà alto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Ti porto ancora
Se ancora mi vuoi
Salirà il sole del mezzogiorno
E passerà alto, molto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Dall'altra tasca ti porto
Se vuoi
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
 
E con la mano, che non vede nessuno
Con questa mano ti saluterei

16 février 2022

Petite Promenade comme en rêve... (3eme et dernière partie)

 
 
A un moment où le monde entier commence à réaliser que la pandémie annoncée qui bouscula toutes nos vies n'a pas fait les millions de morts annoncés et que partout la pression s'allège, que les langues se délient et que bon nombre d'entre nous se disent que finalement, on a un peu surjoué le danger planétaire, il est bon d'imaginer le retour à une vie normale. A Venise, cela passera comme en France ou ailleurs, par l'abandon du masque, par l'arrêt des contrôles et de la défiance et à la fin de cet ignoble passe sanitaire ou vaccinal imposé par des gouvernants largement dépassés et parfois ridiculisés par leurs phrases à l'emporte-pièce. Mais surtout, cela passera par le bonheur retrouvé de la passeggiata entre amis, de tous âges, de tous milieux, des tournées de prosecco, spritz et ombre di bianco (o rosso), en se pourléchant devant les plateaux attireants de ciccheti et des tramezzinini pris debout, sans avoir à se défier de son voisin qui éternue ou parle du nez. On pourra reprendre nos périgrinations selon l'inspiration du moment : faire les magasins, aller au théâtre, au concert, au cinéma, dans les musées, sans avoir à brandir d'ausweis. Et puis tant pis si les touristes sont revenus, tant pis si cela redevient comme avant entre les ignorants qui confondent le ponte des Pailles avec le pont de soupirs, la salute avec San Marco et s'affollent du prix d'un chocolat chaud ou d'un capuccino sur la Piazza.

Commençons donc notre nouvelle promenade par un apéritif à une terrasse. Pourquoi pas le Zanzibar, au pied du campanile de santa Maria Formosa, puisque nous sommes dans le quartier. Après une pensée pour le vainquer de la bataille de Lépante dont les appartements étaient au-dessus du café de l'Horloge, la visite du Palazzo Grimani s'imposait.

Il y a si longtemps. Les yeux remplis de toutes les merveilles que ces deux palais contiennent, après un passage par la librairie de la Querini Stampalia qui présente de bien belles choses, le café au pied de l'église est le meilleur endroit pour entamer la passeggiata. Le spritz y est amoureusement prépare et servi avec le sourire, tout le monde se connait ou presque, les enfants jouent autour sans gêner les parents et les autres. Quelques patatine, et beaucoup de choses à se raconter. les vénitiens adorent les potins et les échangent vont bon train. Un régal permanent que d'entendre mêlées les conversations autour de soi, en dialecte ou en italien mais toujours avec cet accent délicieux qui me rappelle toujours combien nous sommes différents en France où Louis XIV, qui rrroulait les rrr pourrrtant nous a privé du délice gourmand de la musique des dialectes, les « langues régionales» comme on disait à Science Po - avec un léger mépris dans la voix - quand ici, quelque soit son origine sociale, on s'exprime dans la langue qu'utilisait Goldoni et Casanova. Nulle condescendance chez les italiens.

 
Cela me remet en mémoire un épisode assez drôle vécu avec mon ami Antoine Lalanne-Desmet qui travaillait alors pour RFI et la RTS. Nous étions sur un tournage consacré à la Venise décrite depuis des années dans Tramezzinimag, celle de mes années de jeunesse, celle qu'évoque aussi un autre ami très cher, Francesco Rapazzini dans un livre paru chez Bartillat en 2018, que je recommande aux lecteurs dont il fera les délices. Ils auront certainement lu dans les chroniques de l'époque mes commentaires sur l'ouvrage de Francesco.
 
J'ai déjà raconté l'anecdote. L'enfant aujourd'hui a grandi. il ne se souviendrait certainement pas de notre échange si je ne lui en parlais pas à chaque fois que je le rencontre. Sa famille n'habite plus la corte del Milion, mais non loin des Schiavoni. L'entreprise familiale de restauration semble florissante et l'adolescent grandit comme tous les vénitiens de sa génération, skate et promenades en barque, la musique à tue-tête avec ses aînés. 
 
Mais retournons dans la fameuse corte. Nous nous promenions le nez au vent, Antoine brandissant son micro chaque fois que je trouvais des choses à dire sur les lieux que nous traversions. Parfois, il s'adressait à des passants. L'idée était de remplir sa machine de sons et de paroles afin de préparer son montage. Près du puits, un groupe d'enfants jouait, sans se péoccuper le moins du monde des passants. Appuyé sur la margelle, je les observais avec délice, pensant à ces vers de Mario Stefani qui s'adaptaient si bien au spectacle que j'avais sous les yeux : 
 
I zoga i fioi nel campo 
no, no i me disturba
go imparà ad amor sto' ciasso
sto' rumor 
fato de amor. * (Mario Stefani)

Le groupe d'enfants s'amusait à un de ces jeux que les enfants des villes ont délaissé partout ailleurs depuis longtemps, chassés par la circulation automobile, la foule toujours pressée et les mirages de la télévision et aujourd'hui des jeux vidéos. A Venise, rien n'a vraiment changé bien que la population des moins de quinze ans ait diminué ces dernières années de plus de 70%. Comme les chats, les enfants ont disparu dans beaucoup d'endroits où on les croisait par nuées, comme des volées de moineaux, au sortir des écoles, sur les campi, les ponts et dans les rues. Venise est un rêve pour les enfants. Aucun danger, même un bain forcé dans l'eau d'un canal sales et boueux mais peu profond, ne comporte pas d'autre risque qu'une crise d'urticaire. Les enfants jouaient donc comme ceux que décrit le poète. Des gamins du quartier. Parmi eux un petit bonhomme au joli visage de pierrot souriant reprenait son souffle à côté de moi en regardant les autres poursuivre leu partie endiablée. Nos regards se croisèrent. Je lui demandais
- Tu habites ici ? 
Après m'avoir observé de haut en bas, il me répondit dans un sourire :  
- Oui, Juste là » en pointant son doigt vers la maison à la façade ornée de vestiges très anciens, la maison - présumée - de Marco Polo. Sa petite voix d'enfant chantait avec l'accent vénitien. Antoine s'était approché et sentant en bon professionnel qu'il fallait enregistrer, il tendit son micro. Cela ne sembla pas impressionner le petit. 
- Cette maison-là ?».
Il haussa les épaules comme pour marquer l'évidence.
- Ben oui, c'est la que je vis avec ma famille et là-bas c'est ma grand-mère». Une vieille femme un peu ronde était assise avec d'autres personnes sur des chaises du café voisin.
- C'est la maison de Marco Polo !»
- Oui» dit-il.
-  Et tu sais qui c'était, Marco Polo ?
- Ben oui ! C'est le monsieur qui a inventé la Chine !»
Je restai bouche bée devant ce magnifique mot d'enfant. Un petit chinois parlant le vénitien qui habite à l'emplacement de la maison et des entrepôts de la famille Polo et a tout cadré dans une présentation de la réalité d'une incroyable efficacité. Cela ne s'invente pas. Antoine me jeta un coup d'oeil entendu. Nous avions envie de rire mais l'enfant n'aurait pas crompris. Nous ne pouvions pas nous moquer de lui. Après tout par le récit de ses voyages et par tout ce qui en a découlé, on peut après tout suivre l'avis péremptoirement annoncé en vénitien par un petit garçon chinois pas plus haut que trois pommes.

Mario Stefani aurait adoré cet échange. Le poète aurait su en faire quelque chose de bien joli. Nous sommes rentrés Antoine et moi, sous le charme de cette rencontre et de ce bon mot que nous nous répétions en chemin. Les enfants, et particulièrement les enfants de Venise  savent les sortilèges qui rendent tout unique sur les bords de la lagune. Hugo Pratt avait raison, il y a quelque chose de plus qu'ailleurs dans l'air de Venise...


* « Les enfants qui jouent sur le campo/ne me dérangent vraiment pas/j'ai appris à aimer ce vacarme/ce bruit/tout rempli de joie. » (traduction Tramezzinimag)

10 avril 2021

Una città che non c'è più : Nostalgie d'un nuage de farine dans l'air parfumé d'un matin à Venise...


Un geste brusque ce matin en revenant du marché m'a fait renversé le sac de farine que jevenais d'acheter. Une partie de la farine s'est répandue sur la table et par terre produisant une brume blanche du plus bel effet. Rien de grave, le sol comme la table étaient propres et en deux coups de cuillère à pot - l'expression parfaite en l'occurrence - et j'étais plus amusé qu'énervé par l'incident. Il me rappela un autre matin, dans une autre cuisine, celle de la Toletta, où m'étant réveillé tôt pour faire des brioches aux enfants qui dormaient, j'avais renversé sur moi le pot de farine, me transformant en une sorte de pierrot décontenancé. Sans autre témoin que le chat qui s'était réfugié sous un tabouret. Rappel aussi de ces images de la Venezia sparita, scènes familières du quotidien : les Farinanti, (littéralement, les « farineux », ces livreurs qui acheminaient en barque à destination des boulangeries et des restaurants d'énormes sacs de farine en provenance des Moulins de Cavarzere, de Marghera ou d'ailleurs . Un documentaire de l'ami Pierandrea Gagliardi pour l'Ateneo Veneto. Tramezzinimag vous invite à vous replonger dans cet ordinaire des jours qui avait tant de charme dans une Venise encore inchangée, avant les hordes de touristes, avant la modernisation, la mécanisation. Finalement cette Venise dans laquelle j'ai vécu était encore identique à celle qu'après guerre, jusque dans les années 90, date des images de ce reportage :

Il en était de même avec le marché. Comme à Paris, Londres, Bordeaux (j'évoque les marchés et les halles que j'ai connus enfant et dont le souvenir dans la mémoire humaine est fort : le ventre de Paris immortalisé par Zola, Covent Garden à Londres décrit par Dickens, Les Capucins à Bordeaux), le marché du Rialto garda longtemps la même figure, les mêmes usages dans les mêmes lieux. Jusqu'à ce que l'obsession de la modernité, de la rationnalité, du rendement, transforment ces lieux grouillants de vie, qui s'éveillaient avant l'aube et s'animaient pour nourrir la ville. L'Erberia fut pendant mille ans le grand marché de la ville, jusqu'à ce qu'en 1997, les normes inventées par la triste bureaucratie européenne, obligent le l'installation du marché de gros et de demi-gros à s'installer dans des bâtiments modernes sur la Terrraferma. Il en fut de même quelques années après avec le départ contraint des mareyeurs à Chioggia, plus rentable avec l'accès direct des camions. Le pratique avant le beau, évidemment. mais combien la poésie y perd.. Et le joie des petits riens qui font tellement du bien... 


Images extraites du film Venezia che non c'è più : l'Erberia, présenté à l'Ateneo Veneto.           

© Pierandrea Gagliardi, Venezia. 2020.

12 janvier 2021

Intérieurs vénitiens

© Tramezzinimag / Lorenzo Cittone 2008
Du temps de Picasa, application géniale que Google a supprimé un jour sans qu'on en sache la raison, Tramezzinimag était souvent illustré par des montages de ce genre. celui-ci évoque les maisons où j'ai vécu et où je suis passé tourt au long de ma vie vénitienne. Peut-être une idée à reprendre pour nous faufiler ensemble chez les vénitiens et s'inviter à y prendre un thé ou un verre de vin, dans la douce quiétude d'une vieille maison pleine d'histoire et de souvenirs...
 

18 décembre 2020

"Mascherata à Venise", non pas le titre d'une comédie, mais le récit en image d'un nouveau quotidien...

Her Gracious Majesty porte avec autant d'élégance le masque obligé et contraint que sa couronne. Comme la reine, des milliards d'êtres humains sont ainsi affublés d'un morceau de tissu plus ou moins esthétique et ce depuis des mois maintenant. Si nous parlions des masques justement ?

Qui l'aurait dit il y a un an ? Nous étions nombreux à nous gausser des asiatiques portant ces masques de protection dans les rues de leurs villes mais aussi chez nous, quand ils venaient visiter les trésors de notre civilisation. une autre culture disait-on, mi-moqueurs, mi-admiratifs. Voilà l'humanité entière ou presque affublée du matin au soir (et pour certains du soir au matin), on aura même entendu certains hauts responsables conseiller le port du masque jusque chez soi, sait-on jamais... La mascarade s'est ainsi répandue partout pour devenir une pose commune à tous. Mais j'entends déjà certains de mes lecteurs imaginer que mes propos sont ironiques et critiques. Donc, avant tout, regardons de plus près le ou les sens du mot qui nous vient de l'italien mascherata. L'Académie Française, dans son dictionnaire nous livre les définitions suivantes :

MASCARADE (nom féminin), XVIe siècle. Emprunté de l’italien mascherata, 1.(Anciennement). Divertissement d’origine italienne où des personnages masqués jouaient une sorte de comédie-ballet ; pièce de vers composée pour un tel divertissement. 2. Divertissement dont les participants sont costumés et masqués. Les mascarades du carnaval.Par métonymie : Troupe ou défilé de gens déguisés et masqués. Regarder passer une joyeuse mascarade. 3.Fig. et péj. Se dit d’une chose, d’un évènement dont on entend dénoncer le caractère fallacieux, le ridicule, qui est une grossière imposture. Ce procès ne fut qu’une mascarade.

Ainsi les trois sens donnés en France au mot mascarade (et peu ou prou en italien) conviennent bien à cette nouvelle tendance un tantinet forcée par nos dirigeants par prudence. Mascarade, les premiers discours qui prétendaient que le masque était inutile voire même dangereux... N'envisageaient-ils pas à l'époque d'en interdire l'usage et de sévir les contrevenants... Après tout, la loi dans la plupart des pays d'occident et notamment en France et en Italie, interdit depuis longtemps le port d'un masque dans les lieux publics où la sécurité de tous oblige à se montrer à visage découvert. Ambiguïté...

Puis l'évidence (et la pression des scientifiques consultés et bien en cour) a fait changé le discours et tout le monde s'est mis au masque. Cela a relancé l'activité de milliers de petits ateliers de couture qui nous permettent de croiser de biens jolis masques dans de superbes tissus, d'autres d'assez mauvais goûts hélas aussi. On ne se refait pas. En France on en vend jusque sur le site de la Poste qui n'est plus un service public comme chacun le sait mais une entreprise privée obligée de déployer mille idées pour faire rentrer de l'argent. Tiens voilà le mot lâché, l'argent a quelque chose à voir avec le port du masque... Certes on ne peut que regretter de devoir deviner si derrière la toile, il y a un joli minois qui désormais ne se montre que dans la sphère privée. Droits réservés pour quelques privilégiés. De quoi satisfaire finalement les religieux, adeptes - ou partisans - des corps que l'on cache aux yeux de tous. Aux yeux des autres... Comment s'en prendre aux femmes voilées maintenant que tous, sans distinction d'âge et de sexe, arpente la vie le visage à moitié caché ? Nulle hypocrisie en revanche dans cette manière de sortir masqué. 

On peut choisir de voir les choses différemment (et dans la bonne humeur) : ce masque fait travailler l'imagination, et puis, il nous oblige à mieux regarder la partie restée offerte : le haut du visage. Front, regard, toute une partie toujours très belle et qui nous ferait tomber amoureux de toutes les personnes croisées dans la rue, de 6 heures à 20 heures bien sûr pour ne pas être en effraction.

 

Mon amie, la photographe Catherine Hédouin, que beaucoup d'entre vous connaissent, m'avait envoyé quelques clichés pris au hasard de ses promenades. «Bloquée» à Venise pour son plus grand bonheur depuis février dernier, elle a eu tout le temps d'observer les vénitiens puis, avec le retour d'une semi-liberté démocratique, les quelques touristes qui parvenaient à passer le pont de la Liberté pour arpenter de nouveau en masse (réduite) calle e campi de la Sérénissime. Depuis la fin du confinement qui fut long et rigoureux à Venise, voici un aperçu de la sfilata delle mascherine, un nouvel accessoire vestimentaire. Appelons cette exposition virtuelle, «le défilé des masques». Régalez-vous de ces impromptus de vie quotidienne à Venise :

Mes propos ne visent pas à imposer à mes lecteurs (dubitatifs derrière leur masque quant à la manière d'interpréter mes propos), l'une ou l'autre des définitions que donne au mot mascarade la vénérable Académie. Certainement pas la troisième. Du moins, il est trop tôt pour faire ce genre de constat et seul le temps montrera qui avait raison. Les adeptes du masque parmi ceux qui nous dirigent s'y sont soumis finalement de bonne grâce quand d'autres demeurent sceptiques d'autres encore rétifs et braqués, mais puisqu'il s'agit de la santé pour tous et de la vie pour quelques uns, le sujet est politique. Pour être au pouvoir et s'y maintenir, il vaut mieux éviter de perdre trop d'électeurs et puis faire voter les morts n'est plus vraiment une méthode à la mode. Mediapart veille... Mais ce qui compte dans ces temps bizarroïdes où la morosité se répand partout et commence de faire des dégâts chez certains esprits fragiles, c'est d'essayer de voir ce qu'il y a de positif dans ces temps. Le masque justement : ne trouvez vous pas qu'en transformant l'apparence de chacun, il pimente un peu le quotidien et pour peu qu'on y réfléchisse, il peut ensoleiller nos jours. Masqués, nous sommes tous attirants. jeunes ou vieux, beaux ou laids, le peu qu'il nous est donné de voir de l'autre est désormais toujours agréable. Faites-en l'expérience la prochaine fois que vous serez dans la rue : Le haut du visage est rarement repoussant, jamais hideux. Comme un jeu, l'imagination se déploie et on imagine un visage parfait, la beauté absolue dont on rêve sans jamais l'avoir jamais trouvée encore. On remarque mieux la beauté d'un oeil qui s'éclaire pour sourire ou saluer. C'est tout de suite sympathique. On se sent apaisé et on rêve. Bien sûr, parfois quand le masque tombe, il y a souvent déception, mais parfois non et c'est bon. 

Il vous faut trouver là le pourquoi du comment qui présida à l'idée de ce billet. Juste un prétexte pour justifier la diffusion sur Tramezzinimag de tous ces visages masqués que Catherine a surpris au fil des rues et des ponts où elle s'est promenée pendant ses mois de séjour forcé à Venise (je ne la plains pas bien que je comprenne sa joie d'avoir pu finalement rentrer en France). Assumer ce goût pour un certain voyeurisme qu'à Venise nous pratiquons tous, di solito(*), depuis les terrasses des cafés, sur les Zattere, ou sur la Riva dei Schiavoni, depuis un banc le long de la promenade qui jouxte le palais royal ou du côté des Giardini, ce plaisir innocent qui nous fait regarder les passants... Aujourd'hui, les cafés fermés et le terrasses interdites, ces visages masqués que nous croisons, sont une bien jolie mascarade, merveilleuse boîte à rêves pour nous aider à patienter, jusqu'à des jours meilleurs...

(*) : d'habitude















Photographies de © Catherine Hedouin - Venise 2020 - Tous Droits Réservés.