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11 février 2024

Relectures et commentaires...


En relisant les anciens billets enfin republiés après neuf de latence, je retrouve des sujets devenus brûlants aujourd'hui. Tramezzinimag et ceux qui nous soutiennent et y participent n'a jamais dérogé aux principes inscrits sous le titre du blog. Cela nous a valu de lourdes sanctions tombées d'on ne sait où.

Le 13 août 2009, je tempérais les propos publiés la veille (ICI) sur l'arrivée prochaine de l'armée dans les rues de Venise contre l'avis de la municipalité d'alors, progressiste et démocrate. Les militaires font leur métier certes mais ils doivent le faire dans un cadre bien précis (pour défendre le peuple souverain et son territoire ou ses alliés). Mais les ajouter aux forces de police apparemment parce que cela rassurerait les gens est une mesure qui nous paraissait dangereuse en 2009 comme de nos jours...

Elle nous habitue à cette présence armée qui un jour peut être utilisée à des fins d'oppression violente et menacer notre liberté et nos droits. Le 13 août donc, le billet se voulait rassurant et rectifiait le précédent où nous nous étions fait l'écho des rumeurs qui parlaient d'un bataillon entier appelé être déployé dans la ville comme dans une république bananière ( ce que Venise même au temps de sa toute puissance n'aura été). Les dernières lignes sur les «bonnes raisons qui pourraient être invoquées» ont ainsi pris un sens prophétique...

je vous invite à jeter un coup d’œil sur ces billets (le sommaire du site est en entier sur la colonne de gauche), et à retourner voir d'autres billets sur le MOSE encore en gestation à l'époque, des photographies de la Venise d'il y a quinze ans ou plus. 

Et puis, nous avons pu retrouver les commentaires - très nombreux à l'époque - de nos lecteurs. peut-être vous y retrouverez-vous ou reconnaîtrez-vous les signatures d'amis disparus, devenus blogueurs à la suite de Tramezzinimag ou à peu près à la même époque, qui tous ensemble avec nous ont forgé une image de Venise enfin détachée  des clichés d'autrefois. 

Ajoutez-en, faites vivre par vos commentaires, vos réactions, vos avis, vos idées.

Notre Tramezzinimag déploie depuis 2005 la même philosophie où prime la joie, l'amour et la sérénité. Venise est un monde et sa beauté, sa lumière, les sons et bien entendu ses habitants. Le leit motiv pourrait en être ces mots de Tommaso Paradiso «Non Avere Paura...

Bon dimanche !

08 juin 2021

Hommage à Baptiste

Il y a un an aujourd'hui, je perdais un ami, qui lâcha prise après des années de combat contre une terrible maladie bien plus effrayante et répandue que le Covid dont on nous rabat les oreilles. Baptiste Marle était encore un très jeune homme. Brillant, drôle, passionné, naturellement tourné vers les autres et vers le monde, ce jeune Padawan avançait dans la vie avec détermination. Il m'avait demandé de l'accompagner et le préparer à passer des concours alors qu'il achevait une prépa dans un lycée de province. Une épée de damoclès au-dessus de sa tête qu'il abordait le plus sereinement possible mais dont il ne pouvait se départir. Bien vite, les sujets abordés dépassèrent les programmes à aborder. A chacune de nos rencontres hebdomadaires, nos échanges portèrent sur la vie, la spiritualité, la littérature et les arts. De répétiteur, je devins le mentor comme il aimait à m'appeler. L'accompagner fut une joie, ce fut aussi un honneur.

 
 
Il m'avait dit un jour - à Venise - combien il était conscient d'avoir vécu durant sa jeune et encore courte vie bien plus que la plupart des gens. Parmi ces expériences de vie,après son passage par Oxbridge puis à la London School of economics et Sciences Po Paris, il vint quelques mois à Venise pour suibvre un cursus international. Je l'avais précédé dans un appartement que ses parents avaient loué, pratiquement sur le Campo Santa Maria Formosa. 
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
C'était son deuxième séjour à Venise. le premier nous l'avions fait ensemble après sa première chimiothérapie. Nous habitions dans cet appartement à l'entrée de la calle degli Avvocati, sur le campo sant'Angelo qui allait devenir, par un incroyable hasard, mon lieu de vie, quelques années après. Bien que fatigué, les entrailles encore secouées par la violence de la thérapie suivie, le crâne rasé, la fatigue jaillissante, il ne s'était jamais départi de son sourire et de son enthousiasme. Il était tombé fou de la Sérénissime. J'en étais ravi. 
 
Les photographies qui illustrent ce billet, de l'extrait du roman de Stendhal au sillage du taxi qui l'amenait à l'éaroport, m'ont toutes été envoyées par lui ou publiées sur son compte Instagram. Des commentaires qu'il y joignait, beaucoup mériteraient d'être publiés tant ils sont fins et drôles aussi souvent. Mais ils n'étaient pas destinés à être publiés. 
 
Je l'ai souvent encouragé à écrire, à tenir un journal. Pour lui bien sûr, mais aussi pour ceux qui, dans la même situation, face à la même injustice, pourraient trouver dans ses notes et ses réflexions un encouragement et la force, comme lui, de lutter et d'avancer, coûte que coûte. Combien de carnets lui ai-je offert qu'il remplissait un temps puis abandonnait. Il avait trop à faire pour perdre du temps. S'il avait vécu, Baptiste aurait été un homme d'action au service de grandes idées qu'il aurait fait avancer avec détermination.
© Baptiste Marle, été 2015
 
Ce jeune Padawan aimait la vie. Sa gourmandise reste légendaire parmi ses amis et sa famille. Comme dans de nombreuses colocations à Venise, comme ailleurs, la cuisine est la pièce commune de la petite communauté. Cela tombait bien ! Ci-dessus, la vue depuis une des fenêtres de la cuisine de l'appartement de la fondamenta dei Preti, près de Santa Maria Formosa, été 2015.  Situé au quatrième et dernier étage d'un palazzo de belle facture, avec une entrée ornée d'une vieille sculpture sur bois usée par l'humidité et des gravures encadrées, l'appartement devint durant quelques mois son home, il y invitait ses camarades, des amis de passage, sa petite amie d'alors, rencontrée à la L.S.E. Il cuisinait pour eux des pastaciutte inventives et mettait beaucoup de soin à choisir les ingrédients au marché du Rialto.
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
Baptiste était un fin gourmet. L'esthétique d'un plat avait du sens pour lui, nous en avions souvent discuté. Notre premier séjour avait été gastronomique autant que culturel. J'évoquais avec lui ces deux organisation dont j'étais membre, le mouvement Slow Food (né en Vénétie !) et l'Accademia Italiana della Cucina.
© Baptiste Marle, été 2015

La grande table de la fameuse (et exigüe) cuisine servait de table de lecture autant que pour préparer les repas. Sur le carrelage des sentences en dialecte l'amusaient autant qu'elles m'avaient amusé, comme ce proverbe qui dit "quelle raclée ils vont prendre les curés s'il n'y pas de paradis". Tout ne pêut pas être toujours du meilleur goût.
 

 
Ce deuxième séjour de Baptiste à Venise, il le fit seul et en revint très heureux. J'avais laissé quelques livres et réaménagé un peu la soupente. Nous avons passé quelques jours ensemble, moi occupant une des deux autres chambres dont les occupants étaient en vacances. Il règnait cette chaleur qui recouvre souvent la lagune à cette période de l'année. On y adopte un rythme différent, plus lent et plus "posé". L'appartement ne disposant pas d'air conditionné, nous organisions des courants d'air, mais le plus simple était de vivre à l'extérieur, comme tout le monde ici. Sur la photographie ci-dessus, les habitués reconnaîtront la terrasse du célèbre café Zanzibar, cette vieille baraque de bois qui date de l'occupation autrichienne, l'endroit parfait pour observer les touristes qui arrivent de la Calle del Paradiso et traversent le campo que domine la belle église Santa Maria Formosa et son campanile.
 
 
Baptiste en fit son Q.G. et réunissait souvent ses amis de San Servolo pour  des spritz meeting. Je crois qu'il goûta de l'esprit de ces réunions ludiques en se rendant sur la terrasse de la Guggenheim où se réunissaent régulièrement les étudiants à l'invitation de la Fondation. Il m'en avait parlé avec un enthousiasme juvénile qui me remplit de fierté : le Goût de Venise avait fait un émule une fois encore !
 
© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

25 juin 2020

En hommage à Baptiste Marle, quelques mots, des photos et une chanson...

Baptiste sur le Campo Santa Maria Formosa, aux pieds de la maison
Baptiste était un jeune ami qui a quitté ce monde trop tôt, trop jeune et nous laisse un peu perdus, nous tous qui avons passé trop peu de temps avec lui. Nous nous étions rencontrés alors qu'il n'avait pas vingt ans et cherchait quelqu'un disposé à le préparer au concours de sciences po. Il se savait déjà malade. Peu à peu je suis devenu son mentor comme il aimait à dire en parlant de moi que sa famille nommait un peu péjorativement"le professeur"

Sur la Piazza, à un concert des Virtuosi et di notte devant San Marco

Puisqu'il s'agissait de faire un bout de chemin avec lui, je lui ai fait lire des livres qui me semblaient importants et n'étaient pas dans les programmes, je lui ai parlé d'art, de cinéma, de spiritualité, de petits riens. 

Je lui ai conseillé d'apprendre l'accent anglais à Cambridge, puis de faire de la philosophie à Durham ou de l'économie à la London School of Economics, où il brilla, puis il y eut Science Po Paris, un séjour en Afrique, un volontariat en Amérique du Sud... Une vie riche et complète sur un laps de temps tellement ramassé et l'inéluctable dont il mesurait la proximité et qu'il assumait avec détermination et en souriant.

dans le hall du palazzo 
Afin tenter d'apaiser les traces d'une chimiothérapie douloureuse, je lui montré Venise qu'il a tant aimé qu'il y revint tout seul l'année suivante pour suivre un cours d'été à San Servolo. Son rapport avec la Sérénissime a été très particulier et intime. En d'autres temps, il aurait été reçu citoyen car il tomba sous mes yeux dans l'eau du rio xx alors que nous venions de déjeuner dans la charmante casetta rossa du Comte Marcello, aux pieds du pont de l'Accademia. Un baptême que bénit quelques jours plus tard, le père Mancini, dominicain de Venise qui lui présenta la basilique San Giovanni e Paolo et particulièrement la chapelle où est honoré le Bienheureux frère Jacopo Salomone, né et mort à Venise (1231-1314)  et qu'on invoque pour la guérison des tumeurs et des cancers...

à Venise comme ailleurs, nous avons beaucoup échangé et nos conversations étaient toujours enrichissantes, passionnées aussi, drôles souvent. Nous abordions tous les sujets imaginables. Pourtant, la vie, la maladie, le temps, nos occupations nous ont éloigné. J'ai tellement cru à sa guérison ou à une longue rémission... La crise sanitaire m'aura empêché de me joindre à tous ceux qui ont pu venir lui rendre un dernier hommage. 

Si j'avais pu être présent à la cérémonie religieuse, j'aurai aimé chanter cette belle chanson d'Anne sylvestre qu'un authentique vénitien bien que d'adoption, le photographe Philippe Apatie a si joliment chanté sur les réseaux sociaux pendant le confinement : "J'aime les gens qui doutent", ici dans la très poétique version de Jeanne Cherhal, Philippe Delerm et Albin de la Simone...

25 janvier 2020

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38) : Ma tasse de thé, le blog de Virginie M.



Connaissez-vous le très beau blog de VirginieM., lectrice fidèle et attentive de Tramezzinimag ? je m'y promenais tout à l'heure en attendant l'heure de la réception au consulat de France, installé depuis peu sur le Grand Canal (une première historique tout de même !), petite fête organisée pour fêter... les Rois. Le blog de la dame se nomme ma Tasse de thé et c'est un régal vraiment. Simple, raffiné, authentique et sans rien d'ostentatoire. Allez vite le découvrir et faites le connaître, son auteur a du goût et ce qu'elle dit est vraiment intéressant : 

21 janvier 2020

Elle aurait cent ans aujourd'hui


Mathilde, Notre mère, grand-mère et arrière-grand-mère
( 21 janvier 1920 - 20 mars 1993 )
pastel par Jeanne Brun, 1976

22 décembre 2019

La ville qui n’existe presque plus par Linda Lê

Paolo Barbaro, Les deux saisons

Linda Lê est un écrivain qui aime les livres et la langue française qui a été pour elle un refuge quand il lui fallut quitter, très jeune son pays natal en guerre. Cette femme formidable que  l'on découvre livre après livre et dont les mots frappent parce qu'ils défendent ou honorent. Sur le site de Christian Bourgois son éditeur, cette citation :
« La littérature n'est pas faite pour les acquittés, elle n'est pas faite pour les élus. Elle est dans le camp des victimes et des sacrifiés, dans le camp des condamnés qui essayent, comme moi, de trouver leur salut et qui se cassent les dents. »
Je ne l'ai vraiment découverte qu'à travers une interview de Catherine Argand pour l'express en 1999. Ce qu'elle disait de son rapport à son père disparu m'avait bouleversé. J'ai quatre enfants, à l'époque la dernière de mes filles avait à peine trois ans, j'étais terrorisé à l'idée de partir trop tôt, de les laisser sans avoir eu le temps de leur offrir mon amour, ma passion, mes mots et mon soutien. Je voulais ne jamais avoir à les laisser, ni à les blesser jamais. Je n'ai pas vraiment réussi. Si Dieu m'a prêté vie jusqu'à aujourd'hui, l'atomisation de notre famille quelques années plus tard ne les a pas épargnés, et je ne m'en guéris pas. Linda Lê exprimait cela dans cet échange. Plus tard, elle a écrit « Cronos », chant d'amour d'une terrible puissance.

Je citais dans un précédent billet parmi les livres qui ont pris les saisons comme prétexte et dont leurs auteurs, tous trois différents, présentent au fil de leurs pages le même amour, la même passion, le même enthousiasme pour la cité lagunaire. Pour le site/revue littéraire En attendant Nadeau, avec qui elle collabore régulièrement, Linda Lê a écrit en février 2018, un bel hommage à Paolo Barbaro en nous offrant une lecture très sensible de son dernier livre, qui va vers l'essentiel. Une bel hommage que nous sommes heureux de reproduire ici, avec nos remerciements à l'auteur, aux photographes et au site www.en-attendant-nadeau.fr, sans qui nous n'aurions pas découvert cette critique d'un ouvrage que je vous invite à lire au plus vite.

« La ville qui n'existe presque plus» par Linda Lê.

En exergue à son essai Si Venise meurt, l’archéologue et historien de l’art Salvatore Settis a placé cette citation extraite des carnets de notes d’André Chastel : « On ne conquiert pas Venise. On ne l’invente pas. Elle a son dieu sur les campaniles. Son démon partout.

Et le démon de Venise, qu’il se confonde désormais dans l’esprit de certains Vénitiens avec le touriste, ou qu’il prenne l’aspect d’une modernité synonyme d’uniformité, risque bien d’avoir raison du « murmure d’eaux et de voix sur le flanc de basilique » qui faisait, d’après André Chastel, la beauté de la ville. D’aucuns voudraient continuer à croire que la beauté sauve le monde ; or la beauté ne sauve rien, pas même la Sérénissime, car le peuple de Venise, prédit Salvatore Settis, est menacé de disparaître, non pas, rappelle-t-il, « par la main d’un ennemi sans pitié ni sous les coups d’un conquérant », mais parce que l’oubli de soi lui aura été fatal.
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Dans son Journal à deux, qui date de 1987 et donne à lire les confidences de Dario le géomètre et celles de sœur Adriana, la supérieure d’un couvent de Padoue, Paolo Barbaro laisse deviner à quel point il est fasciné par ce qui décline, ce qui est sur le point de périr, d’être englouti. Préférant traquer autour de lui ce qui se situe dans les marges, il a un regard qui s’attache moins aux splendeurs qu’aux tanières solitaires. Tout comme il avoue volontiers un intérêt certain pour les rejetés, les égarés, il n’est attiré que par les fissures, les coins d’ombre, les paysages désolés. Il doit à sa formation d’ingénieur de n’être pas resté toute sa vie en Vénétie, sa terre natale, mais d’avoir élargi son horizon en travaillant en Afrique ou en Iran, même s’il est toujours revenu à Venise pour écrire, non pas uniquement des récits ou des romans, mais aussi des essais sur la construction des barrages.

Paolo Barbaro, Les deux saisons
© Philippe Roos




Parfois effaré par la transformation de Venise, « ville de l’imaginaire », ville-œuvre d’art, en Luna Park où des armadas de jeunes travaillent pour le tourisme et traitent avec une grossière désinvolture les visiteurs pressés d’une ville dont les habitants les plus clairvoyants déplorent qu’elle soit devenue la ville de l’exode (les Vénitiens s’exilant loin du centre, se sauvant dans les marges), la ville de l’abandon, la ville de la dégradation continuelle, la ville du retour au Moyen Âge, la « ville qui n’existe plus », Paolo Barbaro ne rallie toutefois pas le chœur des prophètes du pire : en témoignent au moins deux de ses livres, Lunaisons vénitiennes, paru en 1990, et Petit guide sentimental de Venise, publié huit ans plus tard. Venise y est décrite comme la ville la plus étrange et la plus belle, la plus artificielle et la plus naturelle, la plus parcourue et piétinée, la plus visitée et inconnue… « Elle est rêve, mais elle est encore ville, si seulement nous nous réveillons un peu. »

Des palais aux usines de Marghera, de l’île de San Michele, l’île cimetière, lumineuse et obscure, au nœud coulant que forment les ruelles de la cité, des hérons aux tableaux d’Arcimboldo, de Sant’Ariano, l’île refuge des exilés, à la Scuola dei Morti, où l’on étudiait les Offices des morts, des îles disparues au dédale des canaux, en déambulant çà et là, Paolo Barbaro nous dévoile ce qu’il nomme son image de la ville intériorisée, et reste convaincu qu’en comparaison des métropoles, des « innombrables fourmilières de la Terre », semblables à d’étranges lieux de folie, Venise reste vivable. Ou alors, se demande-t-il, n’est-ce pas dans la Cité des Doges qu’est la folie ? Quoi qu’il en soit, chacun s’y promène avec une part du labyrinthe qu’il porte en soi et se persuade que Venise « résiste parce qu’elle est ce qu’elle est : un cas de beauté, un paysage mental, presque insupportable durant ces jours difficiles ».

Paolo Barbaro, Les deux saisons
© Yann Gar
Livre posthume, paru en 2016, deux ans après la mort de son auteur, Les deux saisons est une de ces œuvres à double face qui évoquent l’arrière-saison d’un amour et celle d’une vie, avec une délicatesse infinie. Dans ces pages, le magnifique guide vénitien qu’est Paolo Barbaro dans ses autres textes se fait élégiaque, racontant mezza voce la fin d’une liaison : Dario, un assureur habitant Trieste avec sa femme et ses deux enfants, rencontre Bruna, une Vénitienne, sur un pont de pierre blanche, le pont Tordu ou le pont des Voiles. Commence alors une idylle entre l’« assureur sensible » et Bruna l’esseulée, qui attend la visite de ce dernier un jour par semaine, à 16h54. Jusqu’à cet après-midi où Bruna annonce son intention de quitter Venise pour Milan, où son amant pourra toujours, lui dit-elle, lui rendre visite : « Je t’attends » est son antienne. Elle n’en disparaît pas moins. La première partie du diptyque se termine ainsi, rien n’est résolu ni scellé, tout reste en suspens, comme si rien à Venise ne pouvait se dénouer. Dans le deuxième tableau du diptyque, « Journal d’hiver », rien non plus ne se dénoue vraiment, quoique celui qui tient ces carnets ne trouve son bonheur qu’en écrivant. Il note presque uniquement des détails insignifiants, mais sa manière de se mettre à l’écoute du monde et du silence de Venise, quand le promeneur s’éloigne du centre et de la piazza San Marco, rend ces fragments pareils à des poèmes en prose où l’on peut, entre autres merveilles, contempler « l’arbre muet », « haut d’une vingtaine de mètres, vert sombre, fuselé, compact », et qui reste immobile, élancé, replié sur lui-même, sans bruit.

Paolo Barbaro n’a rien d’un oiseau de mauvais augure, il possède ce don, précieux entre tous : il s’en tient à l’essentiel avec la légèreté de qui ne s’appesantit jamais. De lui et de ses doubles, qui ont quelquefois l’air de fantômes au gai savoir, nous pourrions dire ce que lui-même dit d’Arcimboldo : « L’artiste, ironique et intellectuel, humoral et enchanteur, déplace et confirme, attire et détourne nos incertitudes mouvantes ».
© Linda Lê


14 décembre 2019

René Fallet et Bonnot. En hommage à Mitsou, défunt roi des chats.


Je viens de terminer la lecture des Carnets de Jeunesse de René Fallet. Assistant à un délicieux petit concert l'autre soir chez un mien voisin, je réalisais soudain que quelque chose manquait dans cet appartement improbable et délicieusement bohème. Il y avait autour de notre hôte de jolies femmes, de jeunes musiciens talentueux et passionnés, quelques garçons un peu mauvais genre à la Pasolini, deux trois snobinards au regard arrogant, un merveilleux acteur de cinéma à la voix fascinante et sa charmante et brillante compagne. Le programme était bien monté, le Steinway remarquable et le vin délicieux. Mais il manquait quelque chose et je parvenais pas à savoir quoi... 

Etait-ce un feu dans la très belle cheminée du salon où nous écoutions des lieds ? Oui bien sûr, mais ce qui manquait, c'était un chat. De ceux qui savent naturellement montrer qu'ils sont les vrais maîtres des lieux et qui reçoivent parfois avec dédain mais toujours avec élégance. Mon esprit évoqua Baudelaire, puis Léautaud et Colette. Puis au détour d'un mouvement plus grave du morceau qui jaillissait des doigts du jeune pianiste, mon regret d'avoir perdu Mitsou, pourtant dernier épisode d'une chronique de la mort annoncée et libération pour ce vieux roi qui commençait de souffrir et n'était depuis quelques jours que l'ombre de lui-même. Il attendait son vrai maître qui devait arriver de Vancouver d'un jour à l'autre. Chaque matin, en le lavant et en le soignant, je le lui rappelais : Notre Jean sera bientôt là. Attends-le si tu le souhaites. Nous nous étions focalisés sur le jeudi - il y a à peine un mois - et Mitsou depuis la veille ne s’alimentait plus, ne ronronnait même plus comme pourtant le font tous les chats malades. 

Il restait étendu dans un cageot recouvert du plaid qu'il préférait. depuis longtemps, Mitsou ne voyait ni n'entendait plus vraiment, sauf à de rares occasions. Plusieurs épisodes ischémiques dans les dernières semaines rendaient son quotidien difficile. C'est ainsi que nous l'avions retrouvé paralysé de l'arrière-train le dimanche avant, puis après quelques heures d'un profond sommeil, il avait de nouveau sauté du canapé pour aller vers sa pitance que je venais de servir. Parfois, il se cognait aux meubles et nous ne pouvions nous empêcher d'en rire. Il restait digne. D'autres fois, après nous être persuadés qu'il n'entendait plus, nous avions eu la surprise de le voir se lever au bruit de la sonnette... J'en arrivais à penser qu'il attendait son jeune maître pourtant vivant depuis longtemps loin de Bordeaux.
 
Un autre Mitsou, le chat de Balthus conté par Rainer Maria Rilke
Mitsou est apparu  dans notre vie un jour d'été à la Moignerie, la maison de famille dans le Cotentin, où nous passions les vacances. J'étais retourné à Bordeaux. Les enfants étaient autour de la table du petit-déjeuner et, venant du jardin, un jeune chat rouquin, élégant et mince qui semblait sourire comme m'avait dit ce soir-là mon fils, s'est avancé dans la cuisine et a salué en miaulant avec beaucoup d'élégance. Ce n''était ni une prière ni une injonction. Certainement une manière de saluer. Une bolée de lait tiède plus tard, le chaton - il n'avait pas un an - s'installait définitivement dans la maison et devenait le compagnon de jeux des enfants. 

Notre famille traversait les premiers coups de vent de la tourmente qui emporta mon mariage et notre vie d'avant. Mitsou a été là, très présent. Câlinant Jean et ses sœurs plus qu'on ne le câlinait et plus tard, quand l’œil du cyclone nous rattrapa tous, je sais combien il a été précieux pour l'enfant qui le prenait souvent sur son lit. Je me souviens à plusieurs reprises de l'entendre renifler au moment où je venais lui dire bonne nuit et, à chaque fois le joli pelage roux était mouillé et Mitsou ronronnait et me regardait, ses yeux verts m'interrogeant. "Alors qu'est ce que tu attends pour arranger tout ça, regarde combien il est malheureux, regarde ce que nous sommes en train de devenir"...

Bien des fois, à mon tour, je me suis épanché sur Mitsou qui ne bougeait pas et restait lové contre moi bien après que mon désarroi se soit apaisé et que la maisonnée dorme. Dix-sept ans après son arrivée chez nous, il a rejoint ses ancêtres. Réalisant que notre Jean ne serait là que le lendemain, je lui ai annoncé. Il était allongé dans sa caisse et respirait difficilement. "Mitsou, Jean va venir mais demain". Le chat a tressailli et j'ai cru voir ses pupilles bougeaient et son regard qui se dirigeait vers moi. Il s'est mis à respirer plus lentement. Je me suis entendu dire "Tu peux partir si tu veux, je ne veux pas que tu souffres". Je l'ai caressé longuement. Il a émis un son qui ressemblait un peu au ronronnement d'avant. Je suis parti vaquer à mes occupations. 

Quand je suis rentré, le chat s'était tourné - il ne bougeait plus depuis plusieurs jours - et semblait dormir paisiblement, les yeux clos. Il n'avait pas pu attendre encore. Jean ne l'aura pas revu mais je sais qu'avec les chats il se passe des choses que nous ne pouvons imaginer mais que nous savons réelles. Le vendredi, lorsque Jean est venu et que je lui ai raconté les derniers moments de Mitsou, quelque chose voletait autour de nous, comme un souffle d'air très doux, très paisible. J'ai pensé qu'il s'agissait de l'esprit du chat qui s'envolait, apaisé et tranquille. Il repose depuis dans le petit cimetière familial où plusieurs des bêtes de la famille reposent. Voilà ce qui me passa par la tête, dans ce salon musical. 

Ma lecture du jeune Fallet (il n'avait pas vingt ans dans ces carnets que j'ai été heureux de relire) m'a rappelé son amour pour les chats. Ce petit bijou de l'INA, TraMezziniMag vous le présente comme un hommage à notre cher Mitsou, sacré il y plus de quinze ans par mes enfants et par quelques vénitiens qui ont eu la chance de le connaître, Roi des Chats.

04 décembre 2019

Ils s'en sont allés et Venise est un peu moins riche


Deux figures de ma vie et de ma jeunesse vénitiennes viennent de nous quitter et si la disparition de ceux des générations précédentes fait partie de l'ordre des choses, c'est toujours avec un pincement au cœur qu'on envisage la vie désormais sans eux. Ceux que nous avons aimé passent  simplement de l'autre côté. Il nous appartient de les garder en vie et présents en nous, avec le souvenir de ceux qu'ils furent de leur vivant, de ce que nous avons reçu d'eux et de continuer à rendre grâce pour ces rencontres et ce qu'elles nous ont apportèrent... Lucio Pelizzato était un grand libraire, amoureux du livre et des mots, commerçant avisé, il avait appris le métier juste adolescent avec son frère auprès de leur père. TraMeZziniMag a parlé de cette fameuse librairie de la Toletta qui est l'un des dernières librairies de la Venise de ma jeunesse. Toutes ou presque ont fermé leur porte, d'autres certes sont nées, mais la disparition de ces temples de la culture marque bien un changement d'époque. Toute mon amitié à sa famille et en particulier à son neveu Giovanni qui dirige aujourd'hui la librairie avec la même compétence et la même passion.

Disparu aussi, le sénateur Mario Rigo qui fut maire de Venise à la fin des années 80 à qui je dois en partie la réussite de la Première Semaine de Venise à Bordeaux que l'étudiant pauvre de vingt ans organisa en octobre 1985 sans une seule subvention et sans réseau aucun. Juste avec la détermination de la jeunesse et et une équipe d'amis conquis par mon projet et mon enthousiasme, en France comme à Bordeaux. Ses obsèques ont eu lieu il y a quelques jours à Caorle d'où il était originaire. Je le pleure aussi. Nous avons longtemps poursuivi nos échanges épistolaires et je l'avais rencontré à plusieurs reprises à Venise. Il regrettait de n'avoir pu venir à Bordeaux rencontré son homologue Jacques - Chaban-Delmas. C'est parmi les assesseurs qui avaient fait le déplacement, l'avocat Augusto Salvadori qui le représenta avec panache. Une autre histoire, racontée aussi sur le blog.

30 novembre 2019

Un adagio, des amis et du vin

Hier soir, dans un salon improbable du vieux Bordeaux s'improvisa un moment musical chargé d'émotion et de grâce comme souvent ce qui est inattendu se charge de joie et de félicité. Imaginez un ciel bas et un vent froid qui glace les rares passants. Nous arrivions d'un autre salon, une vaste nef blanche dans une grande maison d'un quartier bourgeois de la ville. Un bonheur n'arrive jamais seul. Il y avait là une centaine de personnes venue entendre un récital autour d'Etienne Péclard, naguère premier violoncelle de l'orchestre national de Bordeaux Aquitaine, professeur émérite dont il m'a été donné d'écrire la biographie. Le maître présentait à un public choisi, attentif et connaisseur, plusieurs de ses compositions accompagné par Laurence Dufour, elle aussi enseignante au conservatoire, avec qui nous avons créé il y a plus de dix ans maintenant Tempo di Cello qui eut son heure de gloire et lança le Festival International de Violoncelle Louis Rosoor et Stéphane Rougier, violoniste à l'ONBA. Les trois talentueux musiciens nous régalèrent d'airs parfois légers et drôles, d'autres plus sérieux, toujours parfumés de citations et d'inventions, toujours virtuoses. 

L'après concert se déroula autour d'une dégustation de vins délicieux du terroir. L'un des invités invita à son tour ceux qui le souhaitaient à venir chez lui, de l'autre côté de Bordeaux, non loin de ma résidence bordelaise, afin de découvrir son magnifique piano. J'hésitais comme toujours à me rendre à cette invitation inattendue. Nous étions partis quelques uns mais tous les autres désertèrent. Je finis par me décider, avant de rentrer me coucher. Je restais indécis. il était tard, il faisait froid, mon lit m'attendait à deux pas... Je me persuadais qu'il n'y aurait plus personne. On n'entendait aucun bruit par la porte entrouverte. Une jeune femme très belle sortait avec son vélo et avant même que je lui demande quoi que ce soit elle me lança avec un joli sourire : "si c'est pour pour la musique, c'est au premier étage" . C'est ainsi que je pénétrais dans cette incroyable demeure. Je sonnais sans qu'aucun son ne sorte, je frappais. Finalement j'articulais la poignée. derrière, un couloir mal éclairé, le plancher qui craque, odeurs de cire et de poussière. L'hôte ravi de me voir m'invite à avancer et disparait aussitôt à la recherche d'une bouteille de vin et de verres. Des notes de musique se glissaient partout autour de moi et m'accompagnèrent jusqu'au salon où trône le piano. L'adagio du premier concerto pour violoncelle de Haydn emplissait l'air de sa douce mélancolie. Venu lui aussi assister au récital de son ancien professeur, le très solaire Jeremy Genet, avait comme moi accepté l'invitation à prolonger la soirée. Il était venu me saluer après le concert, souriant et plein de révérence. La dernière fois que nous nous étions vu, c'était à Malagar, la maison de François Mauriac où se déroulent chaque année les examens de fin d'année de musique de chambre. Il avait à peine vingt ans alors et son jeu déjà charmait les auditeurs. Minuit sonnait à l'église voisine et, dans la pénombre, il jouait. En guise de partition l'ami qui l'accompagnait,  avait posé sur le pupitre un ordinateur portable, seule marque des temps modernes dans ce lieu hors du temps. La voix très sensuelle du violoncelle chantait le second mouvement. Je m'installais sur un coin de canapé, totalement fasciné par l'archet qui glissait lentement sur les cordes et les mains qui s'animaient sur l'instrument. J'aimais tout de suite son interprétation de cet adagio langoureux et débordant de subtilité. La cadence de Britten ce me semble. Un peu à la manière de Rostropovitch. J'aime à la folie cet air où le violoncelle reste maître et peut exprimer toute son expressivité. Jeremy avec sa grande sensibilité servait joliment cet adagio. Un de ces petits bonheurs qui nous tombent joyeusement dessus et qu'on aimerait pouvoir faire partager.

La mélancolie qui se dégage, malgré le mode majeur de l'aria se confond fabuleusement avec les lieux. Je regarde Jeremy. La tête légèrement penchée en arrière, les yeux clos, le visage détendu et serein, les sourcils légèrement froncés, il fait corps avec l'instrument, et les lieux se fondent dans la musique. La salle est sombre et mal éclairée mais le jeune virtuose rayonne et irradie. Une bouffée d'émotion me submerge soudain et mouille un peu mes yeux. Cet air, nous l'avons tellement de fois écouté, mon père et moi, à la fin de sa vie. C'était dans le petit salon du second, à côté de ma chambre. Les 8 minutes 30 de l'adagio inlassablement répétées que nous écoutions parfois dans le noir comme dans ce salon d'une autre demeure bordelaise, où je pénétrais pour la première fois. Une belle soirée, le vin était bon et l'air rempli de bons mots, et le cœur inondé de musique. Un de ces moments inattendus et magiques qui m'aident à supporter l'exil quand mes obligations m'obligent à rester loin de Venise. Il est temps que je reparte. Jeremy et son violoncelle, Étienne, Laurence et Stéphane m'y rejoindront et les soirées seront pareillement douces et belles. 

Pour le plaisir d'entendre ce passionné parler du festival qu'il a créé à Bordeaux après avoir organisé un concert au Carnegie Hall à la mémoire des victimes du 11 septembre, cette vidéo publiée par une radio bordelaise :

29 novembre 2019

Rejetant la tristesse... Cheminer avec Franck Venaille

Le Moine au bord de la mer (Der Mönch am Meer) Caspar David Friedrich
J’ai combattu jusqu’à l’extrême. Maintenant il me reste à
rejoindre mon hôtel, palace pour fêtes légales & là, allongé
sur un lit, chaussures encore boueuses aux pieds, à regarder
l’eau du canal tressaillir, frémir, s’allonger, s’ouvrir !

Je ne fréquente pas les églises et leurs chefs-d’œuvre. La la-
gune s’en moque. Elle laisse la porte ouverte sur le tout petit
jour quand passe devant moi un remorqueur au moteur sans
âge. Debout. Droit, face au vent se tient l’homme gouvernail.
Sa silhouette attise le sentiment de beauté solitaire.

Ainsi suis-je à la fois celui qui écrit mais également cet autre
qui prend sur lui de lire des manuels militaires à l’usage du
bataillon de mouettes de l’infanterie de marine.
Ces vers de Franck Venaille, formidable et rutilant poète récompensé par le prix Goncourt en 2017, disparu en août dernier, je les récite souvent lorsque j'observe un résident de la maison de retraite dont je suis l'un des administrateurs. Voir l'inexorable glissement, ce tassement au début peu visible qui s'amplifie parfois d'un coup, la lassitude dans le regard qui semble chercher au loin une image, un souvenir auxquels se raccrocher quand monte en nous la certitude du naufrage. Cela ne peut laisser indifférent et les mots du poète m'aident un peu pour cacher mon désarroi et la souffrance qui griffe mon cœur devant l’inéluctable défaite de ces vieillards qu'on voudrait soutenir, accompagner bien mieux que nous parvenons à le faire.

© Jacques Sassier
Je n'ai jamais vraiment connu Franck Venaille si ce n'est par l'intermédiaire de Micha son épouse, fidèle, attentive et indulgente lectrice de TraMeZziniMag, mais les livres du poète ont accompagnés bien des voyages du solitaire que je suis comme il le fut aussi, lui qui a toujours « marché dans la fêlure intime du monde ». 

Son écriture mélancolique et pure sied magnifiquement aux couleurs de Venise en hiver, surtout en ces temps malheureux où la nature semble vouloir s'acharner sur la ville. Ses ciels bas, ses eaux noires, comme le sont certainement les ciels et les eaux des Flandres d'où venait ce poète qui commença son dernier livre par cette phrase très belle : 
« Ensuite je suis parti à la recherche de mon enfance.»
Jolie parentèle d'avec l'auteur de la Recherche qui me donna l'envie de tout lire d'une traite L'Enfant rouge. J'ai découvert le poète par hasard en me plongeant dans C'est à dire publié par le Mercure de France qu'un ami m'avait donné. Je cherchais ce matin le livre que je n'ai plus trouvé. Il aura été emprunté et jamais ramené hélas. J'aurai aimé relire les pages consacrée à la lagune. L'ouvrage est difficile à trouver désormais. Venaille était plus triestin que vénitien. A cause d'Umberto Saba dont il partit retrouver les marques. Mais à Venise comme à Londres ou dans le Paris de son "Moi de onze ans", sa plume emporte et accompagne comme seule la plume des grands poètes sait le faire.  
Filippo de Pisis. Collection privée.
Il y a eu dans l'excellent En attendant Nadeau, cette revue littéraire en ligne - qui devrait être lue aux enfants des écoles pour leur apprendre à comprendre, à réfléchir et à aimer les Lettres -, un hommage au poète (ICI). Norbert Czarny y conseillait, bien mieux que je ne saurai le faire, la lecture des livres laissés par Venaille, « On lira cela et le reste, et tout ce qui a fait une œuvre, dans ce petit livre bleu qui rappelle la voix mélodieuse, grave et narquoise du dandy Venaille et de l’enfant qui ne le quittait pas.» C'était l'écho qu'il fallait pour que je reprenne mes vieux projets de livres d'artistes bilingues, pour donner à lire, comme avec la galerie que j'ai tenu pendant quelques années mon objectif était de donner à voir. Traduire Venaille en italien et le publier est une idée à laquelle je pense depuis longtemps, Le publier comme je souhaiterai publier le vénitien Mario Stefani ou Sandro Penna en français... Il y a une douce harmonie dans ce lignage que rejoint La Tour du Pin dans mon panthéon personnel. La collection trouverait ainsi son fil conducteur avec évidence. L'enfance, l'amour, la beauté et la simplicité...

21 octobre 2019

La reine Mathilde visite la 58e Biennale

C'était il y a un peu plus d'un mois, un après-midi de septembre, gris et pluvieux mais tranquille, qui a vu la reine des belges en visite à la Biennale, quelques semaines avant la fin de cette 58e édition particulièrement intéressante. Le reportage ci-dessous semble vouloir ne montrer que la tenue de sa Majesté, sans que soit mis en avant l'intérêt de la souveraine pour la création artistique contemporaine et les connaissances du couple royal. La Reine prend un réel plaisir lors de ces visites, marchant sur les pas de la reine Fabiola. La reine Mathilde s’ implique très fortement dans la vie culturelle du royaume.

La reine a ainsi visité le pavillon de la Belgique, avec l'exposition "Mondo Cane" (Monde Chien) de Harald Thys et de Jos De Gruyter, mais aussi l'exposition Luc Tuymans au palais Grassi, intitulée “La Pelle”  (la Peau), et celle de la belgo-zaïroise Otobong Nkanga à l'Arsenal.

La reine a ainsi parcouru les hauts-lieux de cette Biennale tournée sur les évènements du monde, ces horreurs qui marquent peut-être l’inéluctable avancée de nos civilisations vers leur terme ; La crainte d'une catastrophe finale et le déploiement permanent de mille complexités qui peuvent effrayer ou au contraire ouvrir les esprits à d'autres possibles. La voie ouverte peut-être enfin pour reléguer dans loin dans nos souvenirs, les tristes images d'une humanité décharnée, trop longtemps dénuée de compassion et d'empathie, où les hommes en courant après le mirage du progrès et de la croissance s’enfoncèrent dans un délire auto-destructeur. Une biennale qui aurait pu s'intituler "Et si les dinosaures s'étaient auto-détruits imités demain par les hommes ?" 

La reine a certainement son avis là-dessus et gageons que les conversations dont on n'entend hélas que de lointaines bribes ne portaient pas seulement sur le mauvais temps ou le bonheur d'être à Venise. Mais, comme il se devait, la souveraine ne s'est jamais départie de son sourire et de sa bonne humeur.

© Getty Images Entertainment / Olivier Matthys, 2019

07 octobre 2019

TraMeZziniMag aime Lorenzo Mattotti, la Biennale aussi


Lorenzo Mattotti, outre le merveilleux prénom qui est le sien, possède de multiples talents. C'est un dessinateur hors-pair, un véritable créateur et un homme de foi et d'engagement. Passionné, il n'entreprend jamais rien sans passion et détermination. Le résultat est une carrière sans faute et une renommée en rien usurpée.

Après des études d'architecture à Venise, le jeune Mattotti, né à Brescia en 1954, qui depuis toujours rêve de devenir illustrateur, commence à travailler pour des fanzines. Il se fera vite un nom dans le monde de la bande dessinée tant en Italie qu'en France. L'élégance de son travail le fait remarquer par les plus grandes revues dont il illustre régulièrement les couvertures, comme le New Yorker, Télérama, Glamour, vanity Fair, etc. 

On lui doit l'affiche du Festival de Cannes de l'an 2000, mais aussi le dessin des sacs pour la chaîne Leclerc. La Mostra de Venise lui avait demandé de réaliser le jingle vidéo de l'édition 2019. La sortie mercredi sur les écrans français de son dernier gros chantier en date, "La Formidable invasion des ours en Sicile" vient compléter le tableau déjà très complet de la carrière du monsieur qui n'arrête pas et enchaîne déjà sur d'autres projets.

10 septembre 2019

Lancement du “Nepomuceno” , la nouvelle bissona vénitienne

Le public a pu la découvrir en tête du défilé nautique de la Regata Storica, la nouvelle barque d'apparat de la flotte vénitienne, qui a été lancée dans les eaux de la lagune, aux Scali de l'Arsenal il y a quelques jours. Baptisée du nom de Saint Jean Népomucène, le saint patron de la Bohème et... des gondoliers.

C'est à la suite de la fête du saint,qui est un moment important à Prague, que le projet a vu le jour. Venise avait décidé de prêter deux de ses barques d'apparat, plus ou moins copiées sur le modèle des galères qu'utilisaient le patriarche, les ambassadeurs et la République pour permettre à ces grands personnages d'accompagner le Bucentaure, la galère du doge. C'était en 2016, pour la dixième édition de Navalis, la plus grande célébration baroque aquatique qui est organisée à Prague pour la fête du saint avec son apogée devant le pont Charles, réputé depuis trois cents ans comme étant l'endroit d'où fut précipité Saint Jean Népomucène. Réalisée à Venise pour le compte de la ville avec la collaboration de la ville de Prague donc et de l'association Svatojànsky Spolek, et décorée par des artisans pragois, le Nepomuceno vient d'être lancé quelques jours avant la Regata Storica. L'embarcation rejoint ainsi ses deux sisterships, les bissone Geografia et Cavalli qui composent la flottille vénitienne, hélas  toujours orpheline de la copie du Bucentaure dont la construction est restée lettre morte en dépit de l'acquisition à grand renfort de publicité de splendides troncs dans la région bordelaise (voir Tramezzinimag ICI).


En remerciement, la ville de Prague, consciente du caractère exceptionnel de la venue sur la Moldavie de deux bateaux vénitiens qui jamais n'avaient navigué en dehors des eaux de la lagune, avait ainsi décidé de réaliser avec le concours des meilleurs artisans tchèques une nouvelle bissona, sur le modèle des deux autres mais dont la décoration mettrait à l'honneur le saint martyr, patron des gondoliers et des traghettisti vénitiens.

Une fois réalisée à Venise, la coque a été expédiée à Prague en mai dernier, juste à temps pour participer à l'édition 2019 de Navalis, avant de passer entre les mains des meilleurs sculpteurs, graveurs, peintres et tapissiers de la république tchèque. Le résultat a pu être admiré le 1er septembre, lors du défilé inaugural de la régate historique.

Mais comment un moine tchèque, héros de sa Bohème natale qui a fait de lui son saint protecteur, a-t-il pu devenir aussi le saint-patron des gondoliers vénitiens ? L'histoire remonte aux mois qui ont suivi la canonisation du saint vite arrivée aux oreilles des vénitiens, peuple très friand d'histoires de martyres et de miracles. Le plus ancien témoignage de la dévotion au prêtre-martyr (*) peut encore se voir dans l'église de San Polo. Une fresque en très mauvais état montre le saint. Dans la même église se trouve un panneau d'autel de Giambattista Tiepolo représentant Saint Jean Népomucène adorant la Madone et l'Enfant et, de son fils Giandomenico une toile figurant son martyre. Les vénitiens les plus âgés se souviendront qu'une foire avait lieu chaque année sur le campo San Polo et dans les rues adjacentes à l'église le 16 mai, jour de la fête du saint. Dans l'église Santo Stefano, un tableau de Marieschi le représente en compagnie de Sainte Lucie entourant l'Immaculée Conception. Il était invoqué pour sauver les gondoliers de la noyade, lui-même ayant survécu lorsque les sbires du roi jaloux le jetèrent dans les eaux furieuses (à l'époque) de la Moldau.

On trouve d'autres représentations du saint dans de nombreuses églises de la ville  : à San Martino, San Geremia, Santi apostoli, San Niccolò dei Mendicoli notamment. Il existe une statue longtemps attribuée à Giovanni Maria Morlaiter mais qui semble avoir été réalisée par Giovanni Marchiori (1696-1778), à l'angle du canal de Cannaregio et du Canalazzo (**). La statue récemment restaurée est aussi un lieu de dévotion pour les gondoliers qui autrefois levaient leur rame en passant devant elle.

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Note :
(*) Il naît en Bohème vers 1340, à Nepomuk d'où son nom. Étudiant en droit, il entre chez les chanoines de la cathédrale de Prague. De là, il devient vicaire général de son archevêque et chapelain de la reine. Il s'attire vite le courroux du roi Venceslas IV, empereur germanique. D'après la tradition la plus courante, il aurait refusé de divulguer les secrets dont il était dépositaire. D'autres motifs de divergence existent entre l'homme d’Église soucieux de l'indépendance du spirituel et le prince jaloux de son autorité. En 1392, le roi fait juger trois ecclésiastiques et s'oppose à l'élection d'un abbé bénédictin. Jean réplique en excommuniant un proche du roi. Sur ordre de ce dernier on arrête Jean Népomuk, on le torture, on l'assassine et enfin on jette son corps dans la Moldau.
Sa canonisation en 1729 en fait un symbole de la Réforme catholique en Bohème.
"À Prague en Bohème, l'an 1393, saint Jean Népomucène, prêtre et martyr. Pour la défense des droits de l'Église, il reçut des outrages nombreux du roi Wenceslas IV, fut exposé à divers supplices et tortures, et enfin jeté d'un pont dans la Vltava."(Extrait du Martyrologue de l’Église Catholique)

(**) Le Grand Canal