08 janvier 2006

"Io non voglio più" leur dit Napoléon...

Georges Jules Victor Clairin, les troupes françaises à Venise
"Ce ne fut pas notre armée qui traversa réellement la mer, ce fut le siècle; il enjamba la lagune, et vint s'installer dans le fauteuil des doges, avec Napoléon pour commissaire"... Cette belle phrase de Chateaubriand résume et explique en quelques mots la chute de Venise. "Io non voglio più" dit Napoléon aux ambassadeurs de la Sérénissime, venus entamer des pourparlers. Venise était pourtant un exemple de démocratie (toute relative certes) mais elle aurait pu survivre aux tempêtes que fit naître la révolution française... Elle n'était déjà plus que l'ombre d'elle même. Mais quelle ombre rayonnante.


Que serait-elle devenue si Napoléon l'avait laissée autonome avec ses antiques lois et sa marine ? Elle aurait était bien utile comme en 1797 où elle repoussa les turcs redevenus prétentieusement agressifs et ambitieux pour les marches de l'Europe (comme les russes, cela leur reprend parfois mais toujours à leurs dépens). 
- Elle serait restée cette même cité touristique qu'elle était déjà depuis presque deux cents ans. 
- Elle serait redevenue la banque de l'Europe, le refuge des émigrés, des aventuriers et des banqueroutiers. 
- Une certaine tolérance aurait permis à ses éditeurs de publier des ouvrages interdits ailleurs. 
- L’Autriche se serait parfois rapprochée d'elle, d'autres fois, menaçante, elle lui aurait tourné le dos. 
- A défaut d'armée terrestre, sa marine et surtout son or, auraient servi indifféremment le camp des monarchies ou celui de la jeune République française... 
- Peut-être que le doge Manin aurait eu un successeur et peut-être aussi que le "corno" aujourd'hui encore serait porté dans une petite république où les traditions ne seraient pas qu'une comédie pour touristes... 

Mais ne rêvons pas. Venise n'est plus un État, c'est une simple ville, presque une bourgade qui a du mal à continuer à vivre avec les hordes de visiteurs, l'invasion dangereuse de ces navires gigantesques, chaque année plus nombreux, et cet immobilisme obligé et consenti qui la maintient dans le passé pour le ravissement de ses touristes. Partout ailleurs les villes ont un "quartier historique", à Venise on parlerait plutôt du "quartier moderne" avec Mestre la laide et moderne. C'est là son dilemme. Être une vraie ville capable d'offrir à ses habitants tous les services qu'on attend d'un espace urbain ou rester figée dans un passé conservé, pour le plaisir des visiteurs ? Hélas, les touristes d'aujourd'hui et l'âpreté au gain facile des vénitiens "autrefois peuple de marchands, aujourd'hui peuple de boutiquiers" semble vouloir acheminer inexorablement la Sérénissime vers la disneylandisation d'un des plus beaux lieux urbains du monde. Prions pour que cela ne soit pas !